Dans la cuisine du ministère de la Santé 

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Que décide vraiment le politique en matière de santé ? O`u sont les lieux de pouvoir ? Claude Évin, ancien ministre de la Santé ayant présidé la FHF1 et dirigé l'ARS ^Ile-de-France, nous emmène dans les alcôves ministérielles… 

Dans la cuisine du ministère de la Santé 

What’s up Doc. En tant, notamment, qu’ancien ministre de la Santé, pourriez-vous nous expliquer les processus de décision en santé en France ? 

Claude Évin. Ils sont multiples dans une organisation complexe du système de santé. 

Tout d’abord, il y a le cadre législatif avec le Code de santé publique (CSP) et le Code de la sécurité sociale (CSS), pour lesquels on retient deux vecteurs législatifs principaux. 

La loi de financement de la Sécurité sociale, débattue chaque année au Parlement, qui définit l’enveloppe budgétaire globale (Ondam2) dédiée à la santé. Son montant est élevé comparativement aux autres budgets ministériels : 190,7 milliards d’euros en 2017. Par ailleurs, sont discutés au Parlement des textes de santé publique comme, en 2016, la loi de modernisation du système de santé qui a beaucoup fait parler d’elle avec le tiers payant généralisé, mais qui comportait beaucoup d’autres mesures moins médiatiques mais très structurantes. Ces textes de loi sont proposés par le Gouvernement et débattus au Parlement avant d’être promulgués, donc le législateur a là un pouvoir de décision. 

L’Assurance Maladie est aussi un lieu de décision important puisque c’est au sein des conventions avec les professionnels de santé libéraux que se déterminent leur cadre d’exercice. Ces relations conventionnelles sont définies par le CSS mais aussi par l’Ondam. 

Le Ministère s’appuie de plus sur des directions d’administrations centrales (directions générales de la Santé, de l’Offre de soins, de la Sécurité sociale et de l’Action sociale). 

“ Ces textes de loi sont proposés par le Gouvernement et débattus au Parlement avant d’être promulgués, donc le législateur a là un pouvoir de décision. ” 

Il y a aussi les agences nationales qui assurent des missions définies par la loi : comme l’ANSM ou la HAS. Cette dernière a deux activités principales : la certification des établissements de santé et l’accréditation d’une part, l’élaboration de recommandations et l’évaluation des produits de santé d’autre part. Cette évaluation sera ensuite prise en compte pour décider du niveau de remboursement par l‘Assurance Maladie. 

Au niveau régional, les ARS créées par la loi HPST3 de 2009 ont une vocation assez large puisqu’elles traitent de l’ensemble des questions de santé de chacune des régions. Elles gèrent donc à la fois des questions de santé publique (contrôle de l’eau, de l’air, prévention, sécurité sanitaire…) et organisent l’offre de soins (autorisations d’activité, organisation de la politique territoriale…) 


WUD. Finalement, qui tient les commandes entre la « Sécu et « l’État » ? 

CE. La négociation entre professionnels fait l’objet d’orientations données par le Ministre, puis c’est le Ministre chargé de la Santé et de la Sécurité sociale qui approuve la convention et la publie. Si l’Assurance Maladie venait à signer une convention faisant exploser l’Ondam, le Ministre pourrait ne pas la publier. Le Ministère, de par sa fonction régalienne, veille à la cohérence de l’ensemble de ces négociations entre Assurance Maladie et professionnels de santé. 


WUD. L’ordonnance d’un ministre est-elle aussi suivie que celle d’un médecin ? 

CE. Cela dépend de quoi l’on parle ! On ne mobilise pas les acteurs uniquement par les ordonnances ministérielles, il faut du dialogue. Néanmoins l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers et c’est au politique de prendre des décisions organisationnelles dans l’intérêt commun. Notons qu’il existe une certaine forme de paradoxe dans le fait que la liberté de prescription reste forte (et personne ne remet ça en cause) or tout cela est financé par la collectivité, avec de l’argent public. Il faut tenir en permanence les deux bouts de la chaîne : il faut maintenir cette liberté d’arbitrage du médecin face à son patient et en même temps, quand un médecin fait une ordonnance, il engage de la dépense publique. Cette relation nécessite un dialogue permanent entre les acteurs de santé. 


WUD. Comment les lobbies en santé exercent-ils leur influence ? 

CE. Le terme de lobby est péjoratif. En réalité, il s’agit de secteurs qui font valoir leurs intérêts. Le Ministre écoute et doit arbitrer dans l’intérêt général. Je ne pense pas qu’il existe de bons ou de mauvais lobbies. Ceux des professionnels de santé sont certainement des lobbies très influents. 

Concernant les laboratoires, il leur est parfois reproché des comportements beaucoup plus motivés par l'intérêt financier que par l'accès au soin. Ils font face à une concurrence mondiale. Ce sont des entreprises qui créent de l’emploi. La finalité du système reste cependant la production de médicaments efficaces et accessibles financièrement. 


WUD : Et l’Europe dans tout ça ?

CE. D’abord il faut avoir en tête que l’Europe n’a jamais considéré que l’organisation des systèmes était du ressort de l’union européenne. Ainsi deux systèmes de santé opposés cohabitent en Europe : bismarkien (assurantiel) en Allemagne et beveridgien (nationalisé) au Royaume Uni. On considère que chaque pays s’organise comme il le souhaite. En revanche, il existe parfois des textes européens concernant la santé publique (taux de goudron, cigarette, protection des populations), la circulation des professionnels ou même des patients.


WUD. Comment le clivage droite/gauche influence-t-il les décisions politiques en santé ? 

CE. Il existe un consensus sur le fait que la solidarité structure notre système de santé. Après, il peut y avoir des divergences idéologiques même si, dans la pratique, ce n’est pas si évident. À droite, le discours serait plutôt « il faut responsabiliser le malade » tandis qu’à gauche ce serait plutôt « il faut consolider le système ». Un exemple : le débat sur le tiers payant, critiqué par la droite au motif que cela déresponsabiliserait le patient. Mais dans les faits, le système est assez stable avec un niveau de prise en charge par la Sécurité sociale, quel que soit le gouvernement, autour de 75 %. 

Sur un sujet sensible comme les « déserts médicaux », il y a des gens de droite comme de gauche qui sont pour des contraintes fortes allant jusqu’à remettre en cause la liberté d’installation. Les clivages ne sont donc pas évidents ! En résumé, oui il y a des concepts idéologiques différents mais au regard des mesures effectivement prises, (du moins jusqu’à maintenant) les différences ne sont pas si importantes… 


WUD : En quoi l’arrivée des GAFA4 dans le domaine de la santé pourraient redistribuer les cartes du pouvoir au niveau national ?

CE : En France, sur ces questions, notamment d’informations médicales, on a l’habitude d’être dans un domaine assez règlementé. De nombreuses données, très utiles, dites « obligatoires » et dont l’accès est encadré, sont recueillies par les services de l’état. Je pense que ces informations doivent être le plus largement possible utilisées parce qu’on en a besoin pour construire des politiques. D’autre part je pense qu’il est important de développer la e-santé avec la télémédecine (téléconsultations, télé-expertise, télé-suivi). De ce point de vue, nous avons énormément de choses à faire.

Il s’agirait d’abord de développer cela avant d’aller chercher les données des GAFA. Ils disposent d’un certain nombre d’informations collectées non obligatoires, non encadrées, dispensées par les internautes au fil de leurs navigations. Cela pourrait être intéressant. On aura par contre du mal à protéger ces données parce qu’on est sur une toile mondiale, ce qui peut poser certains problèmes. Il ne faut pas non plus attendre que ces informations apportent des réponses à toutes les problématiques posées. Par exemple Google Flu pour prédire l’arrivée des grippes a été finalement assez critiqué. En résumé je ne pense pas que l’’on puisse construire une politique publique de santé directement avec les GAFA. Par contre le fait que les GAFA disposent d’un certain nombre d’informations mérite d’être regardé dans le cadre de l’intérêt général…

 

 

Notes

1. FHF : Fédération hospitalière de France

2. ONDAM : Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie

3. HPST : Hôpital Patients Santé et Territoires 

4. GAFA : Google, Amazone, Facebook, Apple

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