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Le Pr Pierre Labalette est catégorique : « la lentille de contact est le premier facteur de risque de kératite infectieuse ». Chiffre à l’appui issus de publications scientifiques, ce sont 29 à 64 % des cas de kératite qui sont provoquées dans les pays développés. Le professeur enfonce le clou puisque « une étude californienne montre que le port de lentille augmente d’un facteur 10 le risque d’infection cornéenne ».
Tout ça à cause de règles d’hygiène des lentilles non respectées…
Au congrès international de la Société française d’ophtalmologie à Paris, le professeur Pierre Labalette, du CHU de Lille, a présenté de terribles infections oculaires provoquées par... des lentilles de contact. Pire, les causes sont tout aussi banales : un étui de lentilles rincé à l’eau du robinet, la conservation de lentilles journalières au-delà de leur durée d’utilisation, ou encore la natation avec les lentilles. Certaines infections, même bien traitées, peuvent laisser des séquelles et conduire à des greffes de cornée. Le Pr Pierre Labalette avance les chiffres autour des infections liées à l’utilisation des lentilles de contact et délivre des conseils de prévention essentiels.
Des infections redoutables : amibes, champignons, bactéries
Le médecin présente des cas cliniques impressionnants. « Une jeune fille de 15 ans a contracté une infection à Acanthamoeba, une amibe présente dans l’eau du robinet. L’infection a d’abord été confondue avec une kératite herpétique. Le traitement tardif, même adapté, n’a pas pu empêcher la progression de l’infection dans la cornée ».
Le délai de réponse au traitement est variable selon la source d’infection. Pour les bactéries (comme Pseudomonas) la guérison est obtenue en quelques jours. Néanmoins, pour le traitement fongique (notamment Fusarium) il s’agit de quelques mois, mais pour les amibes, cela peut prendre plusieurs mois à un an, avec des risques de séquelles irréversibles.
Les mécanismes en cause : une cornée affaiblie par la lentille
La lentille n’est pas un simple accessoire car elle altère la physiologie de la surface oculaire. Dans le détail il s’agit d’une réduction du renouvellement épithélial, une hypoxie, des microlésions, et surtout, la formation de biofilms. Ces derniers favorisent la stagnation et la colonisation bactérienne. Ainsi, le port prolongé est particulièrement nocif, surtout avec les lentilles utilisées comme “pansements”. En effet, les lentilles rigides augmentent la probabilité d’une infection car le port est renouvelé par les patinent et le risque de contamination est ainsi augmenté.
Négligence, désinformation et prévention : des clés pour éviter le pire
"Le meilleur traitement, c’est la prévention", rappelle le spécialiste, insistant sur l’importance d’éduquer les patients, notamment les plus jeunes. Le Pr Pierre Labalette le martèle : une grande partie des infections oculaires liées aux lentilles de contact pourrait être évitée par de simples gestes. En cause, une accumulation de négligences et un manque d'information. Parmi les erreurs fréquentes figurent le port prolongé des lentilles, parfois sur plusieurs jours (particulièrement chez les adolescents), une mauvaise hygiène de l’étui – souvent rincé à l’eau du robinet avec des amibes –, une fréquence de remplacement insuffisante, l’absence de lavage des mains ou encore le tabagisme. Plus récemment, l’achat de lentilles sur internet, souvent contrefaites, expose à un risque infectieux majeur.
Les bains et douches avec les lentilles sont à proscrire (à moins de se débarrasser des lentilles une fois lavé), jeter systématiquement les lentilles journalières après usage, changer régulièrement les étuis et éviter les produits périmés. L’utilisation de produits de confiance plutôt que de génériques de qualité incertaine est également recommandée. Ainsi, chaque prescription doit être accompagnée d’un rappel des consignes d’hygiène, à répéter régulièrement, pour éviter que des erreurs banales ne se transforment en catastrophes médicales.
L’arrêté du 12 juillet 2024, publié au Journal Officiel, permet désormais aux orthoptistes de réaliser la primo-prescription de lentilles, à condition de respecter un texte sur les contre-indications et la formation requise. Cette réforme étend leur champ de compétences, dans un contexte où le risque infectieux demeure élevé.