Un suicide de plus à l’AP-HP

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Sud Santé dénonce la politique managériale

Un suicide de plus à l’AP-HP

Une technicienne de laboratoire à l’AP-HP s’est suicidée le 2 mars dernier, au service central de la médecine du travail à l’Hôtel-Dieu. Elle avait rendez-vous avec une psychologue, après avoir signalé son intention de se donner la mort.

Médecins, infirmières, brancardiers. À Pompidou, Cochin, Bicêtre, Bobigny, Hôtel-Dieu… La série macabre des suicides continue à l’AP-HP. Le vendredi 2 mars, une technicienne de laboratoire, employée par le groupement hospitalier depuis plus de 10 ans, s’est donnée la mort dans les toilettes du service de santé au travail de l’APHP, situé à l’Hôtel-Dieu. Elle aurait avalé du cyanure.

Dans un communiqué, le syndicat Sud Santé AP-HP « déplore une fois encore l’incapacité de notre institution à mettre un terme à cette "épidémie" ». Il appelle la direction générale à revoir sa politique de ressources humaines.

On a fait ce qu’il faut

L’AP-HP, qui commence à être habituée aux vagues médiatiques et d’indignation qui suivent les suicides (réguliers) dans ses services, s’est empressée de publier elle aussi un communiqué. Elle y explique qu’au moment de se donner la mort, la femme – en arrêt maladie depuis juillet 2017 – était dans les locaux de l’Hôtel-Dieu pour un rendez-vous avec une psychologue.

L’AP-HP explique avoir présenté ses condoléances « à la famille, aux proches et aux collègues de l’agent », et rappelle les faits. Le 27 février, l’agent a envoyé un mail à une organisation syndicale et à un média, prévenant de l’imminence d’un « évènement tragique » la concernant, pour le 1er ou le 2 mars. La direction des ressources humaines de l’AP-HP aurait pris le message très au sérieux, au regard de ses différents passages en hôpital psychiatrique. L’hôpital Tenon aurait ainsi engagé des démarches « afin de s’assurer d’une réelle prise en charge médicale et d’un soutien de la famille ». Il a lancé une procédure de Danger grave et imminent (DGI). Le 1er mars, la technicienne s’est entretenue avec une psychologue de la médecine du travail, convenant d’un rendez-vous dès le lendemain matin, 2 mars.

Elle rappelle également son parcours. La femme avait été recrutée en 2007 en CDD, puis « une première mise en stage en vue d’une titularisation dans la fonction publique hospitalière à l’AP-HP lui a été proposée ». Le stage a été interrompu. Ensuite, en 2013 et 2016 elle a effectué des CDD, dont le dernier n’a pas été renouvelé. Le jour de l’annonce de non-renouvellement, elle avait déjà tenté de se suicider dans son service. En mars 2017, une seconde proposition de stage lui a été faite, quelques mois avant son arrêt maladie.

Une histoire différente

L’AP-HP semble se dégager de toute responsabilité, et rappelle les procédures qu’elle a mises en place en prévention des suicides. Mais du côté des syndicats, le son de cloche est bien différent. Sud Santé AP-HP critique l’enchaînement des CDD dans divers hôpitaux, l’errance administrative et le manque de suivi médical de l’agent. Le syndicat dénonce aussi les poursuites financières dont elle faisait l’objet, pour le non-paiement des frais médicaux liés à sa première tentative de suicide.

La CGT, de son côté, rappelle que la jeune femme tentait depuis des années de faire reconnaître ses droits sociaux et que son suicide « est le signe d’un profond mal-être au travail, où dénoncer des dysfonctionnements est punissable, où les méandres administratifs usent, où prodiguer des soins tue ».

Michelle, 35 ans, victime des RH

L’Humanité en dit plus, en publiant des extraits du mail envoyé le 27 février. La femme, prénommée Michelle, et âgée de 35 ans, explique le communiquer à plusieurs destinataires « pour que mes tentatives de suicide à cause des conditions de travail et du harcèlement de travail au Kremlin-Bicêtre ne restent pas lettre morte ». On apprend également que l’avocate de la jeune femme s’apprêtait à déposer une plainte pour harcèlement moral contre l’AP-HP. Celle-ci explique que sa cliente a été « broyée » par la machine administrative.

En plus d’un enchaînement de CDD, ses salaires auraient été amputés de trop-perçus, ses heures supplémentaires non payées. Des manquements administratifs multiples, qu’elle est parvenue à faire reconnaître. Elle a fait condamner l’AP-HP en 2016 pour « préjudice d’exécution dommageable du contrat de travail », précise l’Humanité. Elle travaillait sans contrat, sous des CDD à reconduction tacite.

L’AP-HP semble estimer qu'elle a eu une attitude raisonnable et a fait preuve de réactivité face à une personne psychologiquement fragile. Ce que ne contestent pas les autres protagonistes. Ils tentent en revanche, à nouveau, de dénoncer les conditions sociales et d’embauche dans hôpitaux parisiens, et la gestion des ressources humaines en général. Des actions doivent être menées bien en amont, faute de quoi les mesures d’urgence des RH de l’AP-HP risquent, comme ce fut le cas avec Michelle, de revenir à mettre un cataplasme sur une jambe de bois.

Source:

Jonathan Herchkovitch

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