Tunisie : des jeunes médecins plus que maltraités à l’hôpital

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« C’est intenable, on nous pousse à partir » : la détresse de Molka Berrebah, interne à l’hôpital Charles Nicolle de Tunis, illustre dans Le Monde, l’agonie d’un système hospitalier public qui semble s’effondrer sur ses forces vives. Salaires plus que misérables, pénuries chroniques, retards de paiement et gardes épuisantes rythment le quotidien des jeunes médecins tunisiens. Alors que l’exode médical s’intensifie, la colère monte.

Tunisie : des jeunes médecins plus que maltraités à l’hôpital

© Midjourney x What's up Doc

Deux dinars de l’heure, c’est de l’exploitation

Engagée depuis 2024 au sein de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), Molka Berrebah, 24 ans, décrit dans Le Monde un univers kafkaïen. En stage en orthopédie, elle assure, avec les résidents de garde, le fonctionnement complet du service. Jusqu’à cinq résidents peuvent être présents, mais certains ne sont même pas reconnus par l’État — donc non rémunérés.

La prime de garde ? 48 dinars bruts (14€) pour 18 heures, soit 36 dinars nets une fois les frais déduits, à peine 2 dinars de l’heure (≈ 0,60 €). Et il faut parfois attendre plusieurs mois, voire des années pour être payé. « J’ai de la chance, je n’ai que trois mois de retard », ironise l’interne dans les colonnes du Monde.

Les externes, eux, ne sont officiellement pas tenus d’assurer des gardes, mais s’y retrouvent contraints, sans aucun dédommagement — ni repas, ni transport.

Grèves à répétition et ultimatum au ministère

Un débrayage massif a eu lieu le 2 mai dernier, avec plus de 93 % de participation selon l’OTJM. Une manifestation a réuni des centaines d’étudiants devant le ministère de la Santé. Le 15 mai, une nouvelle réunion s’est soldée par un échec. « Des raisons administratives et de bureaucratie » sont avancées côté gouvernement.

L’OTJM annonce désormais une grève de cinq jours à partir du 1er juillet. Un boycott du choix des postes de stage est aussi prévu — ce qui pourrait vider les hôpitaux de leurs résidents en plein été.

Un exode médical sans précédent

Selon le Conseil de l’Ordre des médecins, entre 1 300 et 1 500 praticiens quittent la Tunisie chaque année. Soit près du double du nombre de diplômés (800 par an selon l’ITES). En quatre ans, 6 000 médecins ont fui le pays, notamment vers la France, l’Allemagne, la Suisse, le Canada, le Qatar ou les États-Unis.

Paradoxalement, 78 % de ces médecins seraient prêts à revenir, selon un rapport de l’Institut tunisien des études stratégiques (mars 2024), à condition d’obtenir de meilleures conditions de travail.

Le service civil : 12 ans d’études pour 230 € par mois

Obligatoire pour exercer, le service civil place les jeunes médecins dans des zones reculées avec des moyens quasi inexistants. Ils y perçoivent une prime de 750 à 1 250 dinars (230 à 380 €), sans couverture sociale. « Sans scanner, sans équipements de base, tu passes ton temps à transférer des patients », dénonce Molka Berrebah.

L’OTJM demande :

  • l’exemption partielle de cette obligation,
  • une revalorisation de la rémunération,
  • la prise en charge des frais de logement et de transport.

Une jeunesse corvéable et muselée

La dernière revendication de l’OTJM vise à transparence de l’évaluation des stages. Actuellement, tout dépend du bon vouloir des chefs de service, ce qui entretient un climat de précarité et de soumission : accepter des gardes non rémunérées devient un passage obligé pour valider son cursus.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/tourisme-medical-plus-de-deux-millions-de-patients-etrangers-chaque-annee-en-tunisie

« Se battre pour rester en Tunisie »

Face à ces dérives systémiques, une génération tente de résister plutôt que fuir. Fatiguée, exploitée, mais mobilisée. « Je veux me battre pour rester en Tunisie », affirme Molka Berrebah. Encore faut-il que les autorités l’entendent.

Source:

Le Monde

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