Simuler pour optimiser les flux

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Difficile d’identifier les ressources nécessaires pour réduire les temps d’attente et de passage aux urgences. Faut-il plus de médecins ? d’infirmières ? de salles d’examen ? un accès plus rapide à l’imagerie ? Aujourd’hui, la simulation numérique est capable d’évaluer l’impact de différentes organisations : elle pourrait donc permettre d’adapter et d’optimiser les moyens disponibles aux urgences, mais aussi dans l’hôpital de manière générale.

Simuler pour optimiser les flux

Les ingénieurs travaillant sur le trafic routier connaissent ce phénomène : la fermeture d’une voie très fréquentée peut parfois réduire les embouteillages, alors que l’ouverture d’un nouvel axe peut aggraver la congestion du réseau. C’est le mathématicien allemand Dietrich Braess qui a énoncé ce paradoxe en 1968. De la même manière, augmenter le nombre de salles d’examen et le nombre de médecins n’est pas forcément la meilleure solution pour désengorger les urgences.
 
Vincent Augusto, chercheur à Télécom Saint-Étienne, a développé avec son équipe un programme de simulation numérique qui permet de modéliser les flux et de tester des hypothèses afin de les améliorer. « Nous avons développé avec l’aide du personnel un modèle qui reproduit le fonctionnement du service des urgences. Après une phase de validation à partir des données des années précédentes, il est possible de changer des paramètres pour évaluer différents scénarios », explique l’ingénieur.
 
Le Pr Alain Viallon, chef de service des urgences de Saint-Étienne – où ce modèle a été développé – travaille depuis une dizaine d’années sur le sujet : « Ces outils ne sont pas encore utilisés en temps réel, que ce soit en France ou à l’étranger. Quelques publications commencent à paraître, montrant leur intérêt dans le pilotage des flux et la gestion de la charge de travail ».
 
Aux urgences de Saint-Étienne, le modèle a permis de tester une nouvelle organisation avant qu’elle ne soit mise en place : la séparation en trois filières selon la gravité et le type de soins à apporter. Elle a également mis en évidence un potentiel d’amélioration en créant une filière dédiée à la psychiatrie. « La modélisation ne donne pas la solution mais elle permet de tester des hypothèses répondant à une problématique identifiée : elle peut montrer par exemple que plus on met de ressources et d’espace dans le système plus on perd de temps. La solution est plutôt une organisation en chaînes parallèles, avec ouverture d’une nouvelle file active en cas d’afflux, comme dans les aéroports par exemple », souligne Alain Viallon.

Le facteur humain, difficile à modéliser

La simulation numérique des flux peut être utilisée dans des situations spécifiques comme la réorganisation d’un service d’urgences, pour réfléchir à la structure interne : où positionner les salles d’examen et les postes de travail médicaux et infirmiers, quelle capacité sera nécessaire selon l’augmentation des flux prévue dans le futur… L’autre utilisation particulière de ce type d’outil est d’anticiper un afflux massif de patients, soit dans un contexte épidémique, sur une durée de plusieurs jours à plusieurs semaines, soit dans un contexte aigu comme un attentat ou un accident majeur. Ainsi les mesures retenues pour les « plans blancs » pourraient être testées et ajustées pour être les plus efficaces possible.
 
L’intérêt du modèle développé à Saint-Étienne est qu’il est modulaire : les différents process sont individualisés, ce qui permet à chaque service de les calibrer par rapport à son propre fonctionnement. « Le plus difficile est d’évaluer la charge de travail, car de nombreux facteurs humains entrent en ligne de compte », souligne Alain Viallon. « Par exemple le taux d’occupation des soignants auprès des patients n’est pas bien défini. Il est évalué à 40 % environ pour les médecins ; mais il varie d’un médecin à l’autre, selon la typologie des patients, selon l’encombrement du service... Il faut donc avoir des informations précises sur la durée des process pour approcher plus finement le fonctionnement d’un service donné ».

Nouveau challenge : convaincre les tutelles

Pour Alain Viallon, cette technique en est encore à ses balbutiements mais devrait progresser dans les années à venir, avec la mise en place d’outils de pilotage moins complexes. Un travail sur un jumeau numérique du service des urgences de Saint-Étienne est en cours, afin d’améliorer la cinétique du flux de la file active. Il reste ensuite à convaincre les tutelles de la pertinence de la simulation numérique des flux et de son impact au quotidien : « Par exemple, il faudra avoir les moyens de mettre en place des adaptations capacitaires selon la variation d’indicateurs et les prévisions du modèle », remarque Alain.
 
Vincent Augusto a également travaillé avec l’hôpital de Firminy (42) pour modéliser les arrivées aléatoires des patients via les urgences, afin de mieux gérer le planning des hospitalisations programmées. En effet, le manque chronique de lits d’aval est un autre facteur-clé de l’encombrement des services d’urgences. Cependant, l’ingénieur stéphanois s’est heurté à un problème pour développer son modèle, l’indisponibilité d’une donnée cruciale : l’occupation des lits en temps réel. Un problème bien connu des urgentistes et des gestionnaires des ressources hospitalières...

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