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Le 5 novembre 1977, René Goscinny quitte son domicile pour aller passer un test d’effort recommandé par son médecin. Il ne se doute pas qu’il s’apprête à faire la pire blague de sa carrière. Celui qui fait à chaque album rire la France entière avec Astérix prépare en effet un arrêt cardiaque… sur prescription d’un cardiologue.
Une fin particulièrement triste pour un homme qui, depuis toujours, se tenait à l’écart de toute forme d’activité physique. « Chaque fois que j’ai essayé de faire du sport, je me suis fait très mal, et je pense que pour une jeunesse saine, il vaudrait mieux supprimer les stades », déclara-t-il un jour.
Quelques semaines avant le drame, on avait diagnostiqué à Goscinny une angine de poitrine qui nécessitait une évaluation de l’état de son cœur. Le scénariste était donc condamné à pédaler sur un vélo d’appartement dans une clinique du IIe arrondissement de Paris, sous l’œil expert d’un médecin.
Mais après avoir subi ce supplice pendant quelques instants, il se tourne vers le praticien. « Docteur, j’ai mal au bras et je ressens une douleur à la poitrine », se plaignit-il. « Pédalez encore quinze secondes », répond l’inflexible praticien. Quinze secondes de trop : Goscinny s’écroule pour ne jamais se relever. Il ne manque que les bougies qui tournent autour de la tête du personnage assommé pour faire de ce drame une mauvaise scène de BD.
Stakhanoviste de la planche
Cette sortie en forme de gag raté de Goscinny prend un caractère franchement ironique quand on sait que l’auteur s’était, sa vie durant, appliqué à faire de l’humour avec un sérieux et un professionnalisme remarquables. Véritable stakhanoviste de la planche, il avait créé un métier : celui de scénariste de BD.
Avant lui en effet, le dessinateur était le seul à signer son ouvrage. S’il voulait que quelqu’un se charge de l’écriture, il était tout à fait libre de le faire… mais il devait le payer sur ses propres deniers. Mais la rigueur et le génie de Goscinny avaient hissé sa machine à écrire sur le même plan que le crayon de ses amis dessinateurs. D’où les doubles signatures restées dans les mémoires : Morris et Goscinny, Sempé et Goscinny… et bien sûr Uderzo et Goscinny, l’immortel duo créateur d’Astérix.
À l’automne 1977, Albert Uderzo avait d’ailleurs invité son compère scénariste à admirer ses prouesses automobiles sur le circuit du Castellet, dans le Var. Goscinny s’y rendit avec sa femme Gilberte, et tous deux furent effarés. « Bébert, si tu tiens à te suicider, fais-le proprement avec un revolver ! », dit le scénariste au dessinateur.
La blague était d’autant plus vaseuse que Goscinny avait à peine six semaines à vivre… même si personne ne le savait. Maigre consolation : la mort du scénariste, connue comme le « cas Goscinny », a été enseignée dans les facs comme l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire pendant un test d’effort.