Pourquoi la Guyane échappe à l'hécatombe du Covid-19 ? Interview de l'infectiologue LoÏc Epelboin

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Avec 23 cas recensés de Covid-19 au 24 mars, la Guyane est le territoire français le moins exposé à l'épidémie. L'infectiologue LoÏc Epelboin nous livre son analyse sur la situation en Guyane, où il exerce. 

Pourquoi la Guyane échappe à l'hécatombe du Covid-19 ? Interview de l'infectiologue LoÏc Epelboin

What's up Doc. Pourquoi la Guyane est-elle préservée ? 

Loïc Epelboin. Nous avons effectivement moins de 25 cas. Nous dépistons uniquement les gens qui ont des symptômes soit respitatoires, soit fiévreux, soit ORL, qui reviennent de métropole dans les 14 jours, ou qui ont été en contact avec un patient prouvé positif pour le Covid-19. On ne dépiste pas systématiquement les soignants qui seraient asymptomatiques s’ils n’ont pas voyagé ou qui n’ont pas été en contact évident avec une personne Covid+. 

WUD. Ce qui veut dire qu’actuellement en Guyane, on considère que les cas de coronavirus sont encore des « cas importés » ? 

L. E. Exactement, pour le moment nous avons eu en grande partie des cas Covid-19 importés de métropole. Les tout premiers ont été 5 cas d’évangélistes revenant de la fameuse réunion évangéliste qui a eu lieu à Mulhouse. À partir de ce premier cluster nous avons repéré un cas secondaire, qui s’est avéré positif. Nous avons connu un autre groupement, des gens qui revenaient de plusieurs croisières aux Antilles, avec des cas groupés, qui ont donné un cas secondaire. Sur les 23 cas on peut dire qu’il y en eu 21 qui étaient importés et seulement deux cas secondaires. Mais il faut aussi considérer qu’il y a un biais d’informations, puisque nous ne dépistons pas en population générale. Nous considérons pour le moment qu’il n’y a pas de circulation du virus en population générale. 

WUD. Comment expliquer que la Guyane soit aussi peu touchée par le coronavirus ? 

L. E. Nous sommes sur un territoire relativement isolé, nous ne communiquons pratiquement qu’avec la France via les transports aériens, nos pays limitrophes ont connu peu de cas, notre population n’est pas non plus énorme… Nous ne sommes pas aussi exposés que d’autres pays qui ont connu des mouvements de population assez importants, comme l’Iran, l’Italie, la France… Nous avons aussi entendu parlé d’une moindre exposition au virus en cas de forte température et de climat humide, le coefficient de transmission diminuerait sous les climats humides, mais nous n’avons pas de preuves. Nous pouvons tout juste constater qu’il n’y a pas non plus d’explosion du virus dans des climats équivalents à celui de la Guyane… Nous avons aussi la chance de bénéficier de la mise en place des mesures de confinement un mois et demi avant la métropole en terme de courbe épidémique.  Mais comme tout le monde, nous nous attendons à prendre le tsunami du Covid-19 sur nos têtes un jour ou l’autre, tout en conservant le secret espoir de pouvoir y échapper. Si l’on devait connaitre une grosse vague épidémique, ce serait dramatique car notre infrastructure hospitalière est très en retard sur celle de la métropole. 

WUD. Qu’en est-il de l’épidémie de coronavirus dans les pays limitrophes de la Guyane ? 

L. E. L’épidémie est relativement limitée pour le moment, mais l’on sait que dans l’État brésilien voisin de la Guyane, il y a eu un cas prouvé et 90 autres cas possibles non prouvés. À l’ouest, c’est le Surinam et d’après mes informations qui datent d’il y a quelques jours, il n’aurait qu’un seul cas prouvé. 

WUD. En tant qu’infectiologue comment analysez-vous cette pandémie ? 

L. E. Je reste très prudent, je voyais les choses arriver de loin, je l’ai vu l'épidémie se développer en Chine, et j’ai espéré qu'elle ne se développe pas sur le territoire français. Mais je n’ai pas été aussi affirmatif que d’autres en disant que l’Europe ne serait pas touchée. Aujourd’hui, la situation est au-delà de l’anxiogène, nous avons des témoignages du Grand Est, mais aussi de la Salpétrière, complètement submergés par cette épidémie, on parle de plus de 100 morts chaque jour donc oui, c’est grave. 

WUD. Cette épidémie est-elle comparable à d’autres épidémies que l'on a connu durant ces dix ou quinze dernières années ? 

L. E. Non, elle n’est comparable à nulle autre. Les épidémies de MerCov, grippe H1N1, SarCov... même si elles ont fait des dégâts importants, n’avaient rien à voir avec ce que nous connaissons, il n’y a pas de comparaison possible.

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