
Bruno Le Maire.
© Capture France Inter
Même s’il n’est pas lui-même candidat aux élections législatives, Bruno Le Maire, participe à la campagne électorale, avec un tour des médias pour prendre la parole et mettre en avant le bilan de la majorité présidentielle.
Il prenait donc la parole ce dimanche dans l’émission Questions politiques sur France Inter pour dézinguer les programmes des deux blocs le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National et notamment donner son point de vue sur leur viabilité économique.
Et au détour de ses différentes prises de parole, alors qu’on le questionnait sur le système de santé, le ministre s’est lancé dans une attaque contre les jeunes médecins, en conditionnant le paiement de leurs études à leurs choix de spécialité et leurs lieux d’exercice.
« Si vous choisissez votre spécialité et que vous choisissez de faire de la chirurgie esthétique à Nice, c'est très bien, mais vous payez vos études »
« Je vous fais une proposition très concrète, issue de toutes les consultations que je peux faire depuis des mois pour comprendre ce qui se passe, essayer d'apporter des solutions à notre majorité.
Aujourd'hui, vous avez un système dans lequel on paye toutes les études de médecine pendant onze ans. A la sortie, vous avez la liberté de s'installer et la liberté de choix de votre spécialité.
Quelle est la première spécialité qui sort aujourd'hui ?
C'est la chirurgie réparatrice, donc la chirurgie esthétique, et avec la liberté d'installation, où vous voulez, Il n'y a pas de problème. »
« Si vous choisissez votre spécialité et que vous choisissez de faire de la chirurgie esthétique à Nice, c'est très bien, mais vous payez vos études.
Si à l'inverse, vous prenez une spécialité qui est difficile, qui n'est pas recherchée du tout la gériatrie ou la psychiatrie qui sortent dans les dernières de l'internat, alors même que ça correspond aux besoins de la nation française et de nos compatriotes, dans ce cas-là, parce que vous allez vous installer là, où on a besoin de médecins et que vous choisissez des spécialités dont on a besoin pour nos parents, nos grands-parents, les personnes en situation de dépendance, là, le contribuable vous paye vos études. »
La liberté d’installation semble menacée de tous bords… et même désormais la « liberté de spécialité ».
Bruno le Maire prouve une fois de plus qu'il n'y connaît rien ni à la santé ni...à l'économie
- Que veut-il faire payer au juste ? La période d'internat : les internes ne sont plus des étudiants, ils travaillent à l'hôpital, qui leur verse un salaire. Est-ce celui-ci que Bruno le Maire veut supprimer pour les spécialités qu'il jugerait inutile : c'est juridiquement impossible sauf à autoriser à nouveau l'esclavage. Ou bien faire rembourser rétroactivement les 6 premières années d'études ? Bruno le Maire ne connaît donc rien à notre cursus.
- Faisons l'hypothèse qu'il s'agit des 6 premières années : à 12 000 l'euro l'année en comptant prof, faculté, etc. (chiffre estimés du coût d'une année d'université en France), on serait entre 60 et 80k euros. Imaginons un étudiant classé en rang utile aux EDN pour choisir une spé jugée "inutile" par Bruno le Maire, mais ne pouvant acquitter cette somme. A l'inverse, un étudiant plus mal classé peut l'acquitter : on voit que cette mesure vide le concours de son sens, et d'un point de vue économique, elle est régressive, c'est à dire qu'elle défavorise les plus défavorisés. Elle injuste socialement, intellectuellement et économiquement. Bruno le Maire ne comprend donc pas des principes simple de l'économie des politiques publiques et ignore les effets progressifs ou régressifs de celles-ci.
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Admettons même, malgré l'absurdité, qu'il soit pertinent de limiter la formation de certains spécialistes (on a vu la catastrophe lorsqu'on a arrêté de former à une période des gynécologues médicaux) : pourquoi créer un tel dispositif, quand il suffit lors des EDN de supprimer des postes dans telle ou telle ville ou spécialité, ce qui se fait déjà en fonction des besoins de soins estimés chaque année dans les différents territoire : Bruno le Maire ne connaît rien aux politiques publiques de santé et aux outils déjà disponibles, et n'a sans doute pas consulté ses collègues de l'enseignement supérieur et de la santé.
Au total : c'est une proposition farfelue et qui serait triplement inefficiente puisque : son champ d'application n'est pas clair, on peut prédire que son effet sera négatif d'un point de vue social, économique et du mérite, et elle est un doublon des leviers efficients et existants actuellement, tout en risquant à long terme de créer des déséquilibres imprévus de l'offre de soin et de décourager les étudiants de s'engager en médecine. 0 sur toute la ligne.