« On n’est pas encore dans l’ère post-antibiotique mais on y entre »

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Entretien avec le président de l’Alliance mondiale contre la résistance aux antibiotiques

« On n’est pas encore dans l’ère post-antibiotique mais on y entre »

Aux États-Unis, une souche d’E. coli résistante à la colistine a récemment été découverte dans l’urine d’une femme de 49 ans, soignée dans une clinique de Pennsylvanie. Le gène de résistance étant porté par un plasmide, il est très facilement transmissible à d’autres bactéries. La nouvelle a provoqué un retentissement mondial. L’occasion de discuter de la question de l'antibiorésistance avec le Pr Jean Carlet, président de l’Alliance mondiale contre la résistance aux antibiotiques.

 

What’s up Doc. Pourquoi la découverte d’une bactérie résistante à la colistine a-t-elle provoqué un tel émoi ?

Jean Carlet. Parce que ce sont les États-Unis... Cette souche a été présentée comme la première, ce qui est faux : il y a eu des souches identiques décrites en Chine et dans plusieurs pays d’Europe. Mais c’est une injection de rappel : si ce type de résistance se diffuse, ce sera un problème. Bien que la colistine soit un vieil antibiotique ressorti des tiroirs, c’est le dernier pour certaines souches résistantes aux carbapénèmes [classe d’antibiotiques de dernier recours, ndlr].

WUD. De nombreuses voix affirment que nous sommes entrés dans une ère post-antibiotique. Est-ce un futur évitable ?

JC. L’étude Eurobact a montré qu’en Grèce il y avait 1,30 % de bactéries résistantes à tous les antibiotiques connus. Chez nous il y en a encore très peu. D’après le Pr Patrick Plésiat, qui dirige le centre de référence sur la résistance aux antibiotiques, il y a un peu moins de 1 % de bactéries totorésistantes au total. On n’est pas encore dans l’ère post-antibiotique mais on y entre. Dans certains pays comme la Chine, l’Inde, l’Italie ou la Grèce, c’est très inquiétant.

WUD. Comment lutter contre l’antibiorésistance ?

JC. Les principales actions consistent à réduire les antibiotiques chez l’homme et dans l’élevage. Le plan antibiotiques humain, qui se termine en 2016, devait réduire la consommation de 25 %. Ça a raté, et la consommation a même légèrement augmenté ces dernières années. Le plan animal, qui avait le même objectif, a beaucoup mieux réussi. Il y a une nette baisse de la consommation animale, et même une diminution de l’antibiorésistance qui s’amorce dans certains cas.

WUD. Quelle est la part des facteurs humains et animaux ?

JC. C’est difficile à dire. Aux USA, 70 % de la consommation d’antibiotiques est animale. Les Américains continuent d’utiliser les antibiotiques comme facteurs de croissance, donc ça fait des masses énormes. En France, cette pratique a été interdite en 2006. Mais nous somme les plus gros consommateurs d’antibiotiques en Europe : les Français adorent les antibiotiques, comme les autres médicaments d’ailleurs. Heureusement, pour l’instant, notre bonne hygiène hospitalière a permis de limiter la casse.

WUD. Les jeunes médecins sont-ils assez formés à ce sujet ?

JC. Certainement pas. Les étudiants qui sortent de médecine n’ont pas assez de connaissances en infectiologie. Il faut dire que l’antibiothérapie est complexe : il y a un très grand nombre de médicaments et de résistances à connaître. Mais les données de la Cnam montrent que les jeunes médecins connaissent mieux cette question et prescrivent moins d’antibiotiques que leurs aînés. On peut donc espérer que les choses s’améliorent avec la nouvelle génération.

WUD. En 2015, vous avez rendu un rapport sur la lutte contre l’antibiorésistance à Marisol Touraine. Quelles sont les principales mesures pour les prescripteurs ?

JC. On avait proposé que la Rosp soit revue afin de revaloriser les indicateurs liés à l’antibiothérapie. Les représentants des médecins ont dit oui, et la Cnam doit le mettre en place. Les ordonnances de non-prescription sont à peu près acquises. La charte d’engagement sur le bon usage des antibiotiques a été actée : ça a commencé dans pas mal d’hôpitaux de province et à l’AP-HP. Il faudrait aussi que les prescripteurs reçoivent systématiquement leur niveau de prescription d’antibiotiques, avec la moyenne régionale. C’est en cours.

WUD. Et pour les mesures retoquées ?

JC. Nous voulions aussi proposer une ordonnance dédiée pour les antibiotiques, qui permettrait de rappeler à la population et aux médecins que l’antibiothérapie n’est pas un acte anodin. Mais les médecins ne sont pas très enthousiastes : ils disent que c’est encore du temps et de la paperasse supplémentaire. Certains voulaient aussi créer une Rosp négative, afin de taxer les plus gros prescripteurs, mais ça n’a pas été accepté pour l’instant.

WUD. Un futur changement de gouvernement pourrait-il impacter cette dynamique ?

JC. Il n’est pas impossible que certaines mesures passent à la trappe, ou qu’un nouveau gouvernement dise « c’est bien », sans mettre d’argent sur la table. On a fait beaucoup d’efforts et de lobbying pour convaincre le gouvernement actuel. Si la majorité change, il faudra peut-être repartir à l’assaut.

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Propos recueillis par Yvan Pandelé

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