Mesurer l’antibiorésistance grâce à une application mobile

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La Fondation MSF met en place une application pour permettre d’évaluer la résistance d’une bactérie à un antibiotique en évitant les erreurs de lecture. Un élément essentiel pour lutter contre un phénomène important dans les pays en voie de développement.

Mesurer l’antibiorésistance grâce à une application mobile

« La résistance aux antibiotiques n’a pas de frontière », entame Nada Malou, référente microbiologie pour la Fondation MSF. Pour cette experte, l’antibiorésistance est un problème majeur qui a pourtant longtemps été invisible dans les pays en voie de développement.

Or dans ces pays, l’accès aux antibiotiques n’est souvent pas régulé avec un marché noir très développé mais également une accessibilité en pharmacie sans ordonnance. Autre problème aussi, l’hygiène de désinfection dans les établissements de santé, pas toujours aux normes. En cause, les soignants, qui n’ont pas été sensibilisés à ce problème, n’ont pas conscience de l’importance de la transmission manuportée des bactéries résistantes.

Un besoin mis en exergue lors d'une mission au Yémen 

L’idée de la Fondation MSF est de mettre au point une application pour permettre l’évaluation de l’antibiorésistance à distance, sans avoir besoin d’une connexion internet ni de professionnels formés à portée de main. C’est de la pratique de terrain qu’est née l’idée d’Antibiogo.

« J’ai constaté pendant des années qu’il est très simple de former les techniciens de laboratoire mais la partie interprétation du test était inexistante par manque de ressources. Tout était recentré dans les CHU des capitales. On se retrouve donc dans des situations où on est capable de faire le test mais pas de l’interpréter. Or un antibiogramme non interprété, c’est la garantie d’un résultat faux transmis aux cliniciens », explique Nada Malou.

« Lors d’une mission au Yémen, j’ouvrais un laboratoire dans le sud du pays et il était impossible d’envoyer des microbiologistes sur place dans cette zone en conflit. On recevait des blessés de guerre qui avaient des infections. Et un jour je me suis dit que j’aimerais pouvoir accéder à des données simplement, avec un téléphone dans la main », se souvient la spécialiste.

Et l’idée a émergé. Comment fonctionne Antibiogo ? L’application permet d’avoir à la fois des images et une analyse. « On prend une photo du test, l’application va identifier chaque antibiotique, lire le nom du disque et demander au technicien de laboratoire de confirmer. Mais elle propose également un accès aux breakpoints mis en place par les sociétés savantes pour mesurer les zones d’inhibition des bactéries. Ensuite les résultats interprétés pour un nombre donné d’antibiotiques peuvent être extrapolés pour une plus longue liste. La dernière étape, et probablement la plus intéressante, est que l’application permet un rapport sélectif. Par exemple si l’on a testé 16 antibiotiques, on ne montre pas les 16 car sinon le clinicien a tendance à prendre le plus fort pour être sûr. Or, si l’on peut utiliser un antibiotique à petit spectre, c’est mieux. En fonction du résultat et du protocole de MSF, du pays ou de l’hôpital, l’appli permet de ne montrer que les antibiotiques recommandés par la structure ».

© Fondation Médecins Sans Frontières

Continuer à lutter contre l'antibiorésistance malgré la crise sanitaire

Les premiers financements d’Antibiogo sont arrivés en 2017 ainsi que le premier travail sur les codes mathématiques. Presque 4 ans plus tard, l’application est en pleine évaluation des performances. « On a pris beaucoup de retard avec la Covid. Evaluer les performances pour ensuite l’appliquer à la prise en charge des patients est un processus très lourd car au bout il y a un impact de la vie des patients », précise Nada Malou.

« Aujourd’hui on évalue les performances en Jordanie, au Mali et à Dakar. Nous ne sommes pas encore autorisés à utiliser les résultats, on demande une interprétation à des microbiologistes extérieurs et on compare avec celle de l’application. Nous avons eu quelques résultats préliminaires qui font état de 90% de concordance. On peut avoir des résultats encore plus intéressants avec des pays différents et donc des mécanismes de résistance différents », espère la référente microbiologie.

Cette évaluation devrait être finalisée vers les mois de juin ou juillet selon Nada Malou. Elle pourra ensuite être utilisée en routine d’abord dans les projets MSF, puis le but est de la déployer dans différents sites.

Nada Malou rappelle l’important impact de l’antibiorésistance dans le monde. « Les ressources sont concentrées sur la Covid mais la crise sanitaire ne va faire qu’exacerber la résistance aux antibiotiques due à une utilisation non rationnelle. De plus, toutes les ressources allouées à la recherche et au développement sont concentrées sur la Covid. Mais il faut agir maintenant contre cet autre fléau ! Les prédictions actuelles font état de 10 millions de morts d’ici 2050 dues à cette résistance, ce qui inclut celle aux antirétroviraux contre le VIH par exemple. J’espère qu’on va garder ça en tête. Il faut continuer à mettre des ressources dans la recherche et la lutte contre ce phénomène ».

 

 

Source:

  • Entretien avec Nada Malou, référente microbiologie pour la Fondation MSF. 
  • Pascucci, M., Royer, G., Adamek, J. et al. AI-based mobile application to fight antibiotic resistance. Nat Commun 12, 1173 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-21187-3
  • Communiqué de presse Fondation MSF

 

 

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