Médecin-pharmacien : je décide, il exécute

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Vaccination antigrippale, prescription de médicaments normalement délivrés sur ordonnance… Les pharmaciens effectuent ou vont effectuer de plus en plus de tâches habituellement considérées comme chasse gardée des médecins. Une évolution qui a le don d’irriter les praticiens français, mais qui semble bien s’inscrire dans un mouvement d’ampleur mondiale.

Médecin-pharmacien : je décide, il exécute

Imaginez un pays où le pharmacien peut, de son propre chef, prolonger un traitement prescrit par le médecin, ordonner des analyses de laboratoire, prescrire des médicaments contre des affections mineures… Eh bien, ce pays n’est pas un lieu fictif qui n’existerait que dans l’imaginaire torturé de médecins réfractaires à toute délégation vers les officinaux. Ce pays c’est le Québec, où les pharmaciens se sont vu octroyer en 2015 de nouvelles activités.
« Nous avons depuis plusieurs années pris le virage des soins pharmaceutiques », explique Patrick Boudreault, directeur des Affaires externes et du Soutien professionnel à l’Ordre des pharmaciens du Québec. « Nous sommes donc amenés, un peu comme les médecins et les infirmiers, à entrer dans une démarche impliquant la collecte de données et l’établissement, avec l’équipe traitante, d’objectifs thérapeutiques. » Une approche qui permet selon lui « d’éviter d’engorger le système de soins avec des conditions mineures ».

Les médecins rient au Québec et pleurent en France

Le Québécois assure que les médecins de la Belle Province sont satisfaits de la mise en place de ces nouvelles activités. « Nous avions prévu, au début, d’avoir un comité constitué de médecins et de pharmaciens afin de recevoir les plaintes, de dénouer les problèmes », raconte-t-il. « Au bout d’un an, ce comité a été dissout, faute de travail. » Voilà qui pourrait étonner les syndicats de libéraux de notre côté de l’Atlantique : lorsque les parlementaires ont discuté, au printemps dernier, la possibilité de laisser les pharmaciens prescrire certains médicaments normalement délivrés sous ordonnance médicale, tous ont poussé des hauts cris.
« Le diagnostic et la prescription sont les prérogatives du médecin seulement », a par exemple écrit la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) dans un « avis aux députés et sénateurs » publié dans le cadre du débat sur la loi Buzyn. Quant au Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre - syndicat (UFML-S), il a promis un « conflit majeur » si la proposition parlementaire, dont nous ne connaissons pas le sort à l’heure où nous écrivons ces lignes, allait jusqu’au bout.

Rendez-vous, vous êtes cernés !

Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les médecins français devraient regarder un peu par-delà les frontières : ils verront que la France fait plutôt partie des pays où les coopérations avec les pharmaciens sont les moins avancées. En Suisse, par exemple, les pharmaciens peuvent, dans le cadre du projet NetCare, délivrer depuis 2012 certains médicaments sur ordonnance, et ce sans prescription médicale. « Il s’agit d’un système basé sur 25 protocoles, dont ceux sur la cystite et la conjonctivite sont les plus utilisés », détaille Luc Besançon, conseiller Innovation et Affaires internationales chez PharmaSuisse, association helvète qui assure notamment des fonctions équivalentes à celles de nos ordres professionnels et qui a développé le projet.
Même constat si l’on porte le regard de l’autre côté de la Manche. « Au Royaume-Uni, par exemple, quand une personne a été testée positive pour une infection à chlamydiae, le pharmacien peut automatiquement mettre en place le protocole de traitement pour son partenaire », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union syndicale des pharmaciens d’officine (USPO), l’un des principaux syndicats pharmaceutiques français. « Cela évite une consultation médicale inutile. »
Et l’officinal de porter l’estocade. « Nous sommes confrontés à une crise de la démographie médicale, à une crise de l’envie d’exercer », remarque-t-il. « Plutôt que de se draper dans des postures, les responsables syndicaux feraient mieux de chercher les moyens de redonner de l’attractivité à nos métiers. » Pour Gilles Bonnefond, pas d’hésitation : les protocoles de coopération font partie des outils permettant de rendre l’exercice médical plus attractif. « D’ailleurs, cela se fait partout dans le monde », glisse-t-il. Diagnostic partagé ?
 

3 questions à Alain Delgutte, président du conseil central de l’Ordre national des pharmaciens

What’s up Doc. Quelle est la position de l’Ordre des pharmaciens sur la prescription en officine de médicaments habituellement délivrés sur ordonnance médicale ?
Alain Delgutte. L’Ordre y est favorable. Nous réfléchissons en termes d’accès aux soins : dans certaines zones, voir son médecin traitant est compliqué. Or il faut bien apporter une réponse. D’ailleurs, il arrive déjà que certains pharmaciens délivrent des traitements normalement sur ordonnance, et ce en toute illégalité. Que voulez-vous faire d’autre lorsqu’un patient fait une crise d’asthme, que vous entendez que ça siffle, qu’il n’a pas sa Ventoline et que vous ne parvenez pas à joindre son médecin traitant ?
WUD. Suivez-vous le même raisonnement pour la vaccination antigrippale en officine ?
AD. Oui. On s’aperçoit qu’il y a un déficit d’accès à la vaccination. Or l’expérimentation qui a eu lieu dans quatre régions ces deux dernières années a permis de vacciner 75 000 personnes de plus de 70 ans pour la première fois. Or il s’agit de personnes qui auraient dû être dans le schéma vaccinal depuis au moins cinq ans !
WUD. Comprenez-vous les réticences de certains médecins à l’égard de ces évolutions ?
AD. Oui, je les comprends. J’éprouve d’ailleurs les mêmes difficultés à convaincre certains de mes confrères du bien-fondé des coopérations interprofessionnelles quand ils me disent qu’ils ne trouvent pas normal que les infirmières scolaires délivrent la pilule du lendemain, ou que les médecins propharmaciens distribuent des médicaments à leurs patients. Vous voyez, les choses vont dans les deux sens.

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