Médecin avant tout ?

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Après l’Institut National du Cancer (INCa) et la Haute Autorité de Santé (HAS), le Pr Agnès Buzyn a posé ses valises au ministère de la Santé. Elle a recu What’s up Doc dans son nouveau bureau de l’avenue Duquesne. Retour sur une carrière fulgurante… dont l’intéressée jure qu’elle n’est pas préméditée.

Médecin avant tout ?

What's up Doc.Jeune médecin, vous vous imaginiez dans ce bureau ?

Agnès Buzyn. Absolument pas ! Je ne sais d’ailleurs pas quel jeune médecin pourrait s’imaginer y être à un moment où il est totalement tourné vers l’apprentissage de son métier. Personnellement, je n’ai jamais vu la médecine comme une profession où l’on fait carrière. Pour moi, ce qui a toujours compté, c’est de bien faire mon métier.


WUD. Quel genre de jeune médecin étiez-vous ?

AB. J’étais passionnée, très investie. J’ai adoré les relations avec les patients, la réa, les gardes… Et j’ai toujours mené des activités de recherche à côté de mes activités cliniques.


WUD.
Beaucoup de vie professionnelle et peu de vie personnelle, donc…

AB. Zéro vie personnelle… et beaucoup de culpabilité par rapport à mes enfants : j’ai eu les deux premiers pendant mon internat. J’ai calculé que pendant mes trois premières années de clinicat, je travaillais 80 heures par semaine. Je me demande comment j’ai tenu à cette époque-là.

WUD. Comment vous êtes-vous orientée vers la médecine ?

AB. C’était une évidence : je n’ai connu que ça. Mon père était chirurgien, je l’accompagnais dans sa clinique et j’ai même été aide opératoire à 14 ans ! La médecine alliait deux choses très importantes pour moi. L’engagement pour les autres d’une part : j’avais le côté très altruiste d’une jeune fille qui voulait s’investir. L’aspect scientifique d’autre part : depuis l’âge de 13 ans j’étais abonnée à La Recherche, je lisais tout, de la physique à l’astrophysique en passant par la géologie…

A retrouver aussi sur WUD, La Consult' (vidéo) d'Agnès Buzyn. Cliquez ici.


WUD. Et comment avez-vous choisi l'hématologie ?

AB. Ça n’a pas été un choix très difficile : j’avais éliminé toutes les spécialités qui ne m’intéressaient pas, et il y en avait énormément (rires)… J’ai commencé l’hématologie lors de mon stage de deuxième semestre d’internat. C’est là que j’ai découvert la greffe de moelle, qui alliait tout ce que j’aime dans la médecine : un accompagnement prolongé, une grande proximité avec les malades, un côté à la fois très scientifique et très technique… Je n’ai plus eu aucun doute. D’ailleurs, beaucoup plus tard, quelqu’un m’a demandé pourquoi je travaillais sur les leucémies, et cela a fait remonter en moi un souvenir d’enfance qui m’a bouleversée. Un jour, une copine de classe qui s’appelait Zoé n’est plus venue à l’école. Au bout d’une semaine, la maîtresse nous a dit qu’elle ne reviendrait pas, qu’elle était morte d’une leucémie. J’avais totalement enfoui ce drame, et quand je m’en suis souvenue, j’ai réalisé que la leucémie était pour moi ce qu’il y a de pire au monde : l’emblème de la maladie dans tout ce qu’elle a d’horrible. Inconsciemment, cela a dû me guider vers l’hématologie.

WUD. Malgré votre passion pour l’hématologie, vous avez très tôt mêlé carrière hospitalo-universitaire et responsabilités dans de grandes institutions…

AB. Pas si tôt que ça ! J’ai d’abord fait 20 ans de greffe de moelle en soins intensifs d’hémato à Necker. Il est vrai que pendant cette période, comme n’importe quel PH ou PU-PH, j’ai eu l’opportunité de siéger au conseil scientifique de quelques institutions : j’assistais à des réunions de temps en temps à l’Agence de la biomédecine ou à l’Établissement français du sang, mais je dirais que je faisais cela par curiosité intellectuelle. Le vrai tournant est intervenu lorsqu’on m’a demandé de prendre la présidence du conseil d’administration de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, NDLR). Mais à ce moment-là, j’avais fait un long parcours : j’avais 48 ans, et j’étais déjà PU-PH.


WUD. Pourquoi vous être orientée dans cette voie-là ?

AB. D’abord, j’ai toujours aimé la chose publique, la citoyenneté… C’est quelque chose qui m’anime. D’autre part, à l’IRSN, j’ai rejoint une institution qui m’intéressait personnellement car elle alliait sciences dures, médecine et protection des personnes. C’était également une période de ma vie où j’étais un peu en difficulté avec mon chef de service. Aller à l’IRSN me donnait l’occasion de prendre l’air. Autre facteur : on cherchait alors à féminiser les conseils d’administration, et il n’y avait à l’époque pas tant de femmes PU-PH cancérologues capables de prendre la tête d’une telle institution.


WUD.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos difficultés avec votre chef de service ?

AB. Vous savez, il est assez commun d’avoir des difficultés avec son chef de service (rires) ! Surtout pour une femme, à Necker, à cette période-là… Les personnes concernées se reconnaîtront (rires)…


WUD.
Quand on arrive à la tête d’institutions telles que celles que vous avez dirigées, comment se passe la répartition entre le temps clinique et le temps institutionnel ?

AB. À l’IRSN, j’avais une fonction de présidence non exécutive d’un conseil d’administration. Je n’y allais qu’une journée par semaine, et j’ai pu garder la responsabilité de ma salle à Necker. Le vrai changement a eu lieu quand on m’a demandé de prendre la présidence de l’INCa. Pour le coup, c’était une présidence exécutive : je dirigeais une institution de 150 salariés qui avait pour mission d’écrire un nouveau Plan cancer, de gérer la recherche en cancérologie… J’ai dû arrêter l’unité de soins intensifs, et je n’ai gardé que ma consultation. Je l’ai conservée jusqu’au mois de mai dernier.

WUD. Quand on a de telles responsabilités publiques en plus de son métier de clinicien, cela change-t-il quelque chose en consultation ?

AB. Je me suis toujours fixée une règle : mes patients sont prioritaires. Les secrétaires de Necker savaient toujours où et comment me joindre. Et je savais que le jour où je ne pourrai plus régler le problème d’un patient ayant besoin de moi en urgence, j’arrêterais. Mes patients vous diront d’ailleurs que j’ai toujours répondu aux e-mails dans les 24 heures.

WUD. Ces e-mails, et plus généralement les responsabilités du service, ont parfois tendance à envahir le quotidien des médecins bien au-delà des heures officielles de travail. Avec les différentes responsabilités que vous avez exercées, comment avez-vous géré cette difficulté ?

AB. D’abord, j’ai toujours fait très attention à ne jamais faire travailler mes collaborateurs en dehors des heures de bureau. Bien sûr, au niveau du comité de direction, on pouvait s’appeler le soir. Mais jamais avec les collaborateurs en dessous du niveau de direction, car je ne voulais pas qu’ils vivent cela comme du harcèlement. Pour mes patients, c’était différent. J’avais des malades très graves : c’étaient tous des greffés de moelle susceptibles de faire des complications aiguës, et je n’ai jamais voulu qu’ils soient en danger parce qu’ils avaient des difficultés à joindre quelqu’un à l’hôpital. Ils avaient toujours les numéros d’urgence. Certains d’entre eux avaient même mon numéro personnel, et ils n’en ont jamais abusé. J’ai toujours géré cela très simplement avec eux.


WUD. Est-ce que ces malades ne vous manquent pas, maintenant que vous n’allez plus à l’hôpital ?

AB. Bien sûr que si. Je leur ai envoyé à chacun une lettre, et je les ai confiés à des collègues que j’apprécie et en qui j’ai toute confiance. J’ai même demandé qu’on m’envoie les doubles des courriers (rires) ! Parfois, l’enseignement me manque aussi. J’adore la transmission du savoir, l’accompagnement au lit du malade.

WUD. Votre parcours ressemble à un escalier. Après l'INCa, la HAS et leministère, que pouvez-vous viser ?

AB. Rien. Je ne fais surtout pas de plan de carrière, parce que quand on fait des plans de carrière, on n’est plus libre. Or je veux garder ma liberté. Le président de la République m’a confié une mission, je ne vise rien d’autre que de bien faire mon travail. Et si un jour je reviens à l’hôpital et à l’enseignement, je serai très heureuse.

WUD. Cela fait deux fois que vous insistez sur cette absence de plan de carrière. Conseillez-vous donc aux jeunes médecins de se cantonner à la clinique, contrairement à ce que vous avez fait ?

AB. Bien sûr que non. Personne n’est obligé de diversifier son exercice s’il est heureux dans sa pratique quotidienne, mais on ne peut que constater que les carrières sont de plus en plus longues. On peut donc imaginer qu’au bout d’un certain nombre d’années, certains médecins veuillent faire autre chose. Certains s’investissent dans la formation médicale continue, d’autres écrivent dans des journaux… D’autres encore créent des maisons de santé pluridisciplinaires, font de la coordination… Mais je le répète : il ne faut pas faire de plan de carrière. Il me semble en revanche nécessaire de s’intéresser à la complexité du système de santé. En arrivant à l’INCa et à la HAS, je me suis rendu compte à quel point les médecins, moi comprise, étaient mal formés à cette complexité. Nous avons une vision trop simple de ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. J’ai appris que chaque décision repose sur une analyse de faits complexes, et qu’elle est difficile à prendre ! Je pense que les médecins devraient se préparer un peu plus à ces enjeux. Il y a là une lacune au niveau de la formation initiale.

WUD. Ce n’est probablement pas le seul domaine où des lacunes existent. Cette question n’est peut-être pas très confraternelle, mais qu’est-ce que l’ex-présidente de la HAS, à ce titre spécialiste de l’évaluation, peut dire à nos lecteurs qui cherchent à savoir si leurs correspondants sont parfaitement au courant des dernières recommandations ?

AB. C’est plus facile quand on a 25 ans de métier ! D’abord, les malades vous disent l’accueil qu’ils ont reçu : je fais très attention à l’expérience du patient. Par ailleurs, les courriers et les coups de téléphone échangés avec les confrères permettent de juger de la qualité de leur raisonnement. Mais effectivement, on ne peut jamais avoir la certitude qu’un confrère est totalement à jour. Ceci dit, nous avons en France une médecine de grande qualité, et il y a une vraie conscience professionnelle chez nos collègues.

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Bio express

1962 • Naissance à Paris

1986 • Interne des Hôpitaux de Paris

1992 • Responsable de l’Unité de soins intensifs d’hématologie adulte et de greffe de moelle à Necker

2004 • Nommée PU-PH

2011 • Présidente de l’INCa

2015 • Présidente de la HAS

2017 • Ministre de la Santé

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