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Un gros enjeu de santé publique
Si les praticiens prescrivent de manière plus raisonnée ces dernières années, la pertinence des prescriptions et le bon usage du médicament représentent toujours un enjeu majeur de santé publique. La France se situe en tête des pays qui prescrivent le plus en Europe, avec 8 consultations médicales sur 10 qui se soldent par une ordonnance de médicaments.
Pourtant, d’après une enquête BVA pour l’Assurance Maladie, 80% des patients verraient d’un œil favorable d’arrêter leurs médicaments, avec une adhésion et une confiance envers leur médecin[1]. Une enquête qui relève aussi que moins de la moitié des patients prenant habituellement des médicaments tous les jours, se sont vu modifier leurs ordonnances par leur médecin.
De nombreuses classes de médicaments sont à risque iatrogénique avéré. C’est le cas de certains antalgiques, des antihypertenseurs et des diurétiques, de certains anticoagulants et benzodiazépines. Pour ces dernières, on constate encore des utilisations inappropriées sur le terrain, avec plus de 50% des patients dont la durée de prescription est supérieure à la durée maximale autorisée de 4 semaines.
A ce jour, on ne compte pas moins de 6,7 millions de patients de 65 ans et plus polymédiqués, à savoir, avec une délivrance d’au moins 5 molécules différentes au moins 3 fois par an, et 1,6 million de patients hyperpolymédiqués (soit plus de 10 molécules remboursées 3 fois par an). Or, la surconsommation de médicaments entraine un risque iatrogène, particulièrement élevé chez les patients âgés. En effet, le risque de multiplier les effets indésirables augmente avec l’âge et la survenue de nouvelles comorbidités.
Déprescrire, oui mais comment ?
Quand on sait que les interactions médicamenteuses sont responsables de plus de 10 000 décès chaque année, la déprescription d’un médicament devient parfois indispensable.
Selon le Dr Erik Bernard, « Les recommandations évoluent avec une diminution des durées de traitement. Mais en France on reste encore un pays avec un volume de prescription trop important sur les antibiotiques, les IPP, les benzodiazépines… ».
La déprescription constitue ainsi, à juste titre, un thème prioritaire de la nouvelle convention médicale composée de 15 programmes d’actions partagés avec des engagements réciproques de l’Assurance Maladie et des médecins libéraux. Le but ? Atteindre des objectifs de pertinence des soins, notamment en matière de lutte contre l’antibiorésistance, la limitation du recours aux analgésiques de niveau 2 à risque de dépendance ou bien encore, la réduction de la polymédication avec une diminution respectivement de 4 et 2 molécules des traitements chroniques des patients hyperpolymédiqués et des patients polymédiqués de 65 ans et plus.
Asthénie, diminution de l’appétit, vertiges, troubles de l’équilibre et chutes, pertes de mémoire ou encore troubles digestifs et palpitations, sont des signes d’alertes possibles d’un événement iatrogénique. Ainsi, tout nouveau symptôme chez le patient âgé doit être considéré comme un potentiel nouvel effet indésirable et non nécessairement une nouvelle maladie ou un nouveau trouble, d’où la nécessité d’avoir le réflexe iatrogénique lors de la consultation médicale.
« Faire le tri » c’est ce que souhaite environ 20% des patients du Dr Cyrielle Rambaud, gériatre et médecin coordonnateur en Ehpad. Pour elle, même s’il est parfois fastidieux de récupérer la liste de tous les traitements prescrits, sans oublier les cas d’automédication : « l’ordonnance ne doit pas vieillir avec le patient ». La gériatre encourage à avoir des prescriptions lisibles, avec des dates de fin de traitement claires. Ainsi, un renouvellement n’est pas une simple photocopie. La Haute Autorité de santé (HAS) préconise aux praticiens, d’effectuer le suivi dans la durée, des modifications apportées sur les prescriptions, de réévaluer les objectifs thérapeutiques à chaque consultation et de maîtriser le risque iatrogénique en rapport avec la polymédication et l’automédication.
« C’est bien d’expliquer au patient, que face à l’anxiété, les médicaments ne sont pas la seule solution »
Le Dr Erik Bernard, va dans le même sens. Pour lui, il est primordial de requestionner les ordonnances et d’échanger avec son patient. « Il faut explorer avec le patient, les éventuelles alternatives non médicamenteuses. Pour certains traitements, par exemple les IPP, est-ce que le patient a essayé de réfléchir un petit peu sur son alimentation, sa consommation d’alcool, le tabac… En corrigeant certaines habitudes, en limitant certains aliments, on peut arriver à soulager les symptômes ». Le généraliste ajoute également qu’il est important de discuter avec son patient pour le préparer à modifier progressivement l’ordonnance, parfois même pour retarder ou éviter la prescription d’un nouveau traitement. « Par rapport à l’anxiété, surtout, si elle est passagère, occasionnelle, il y a pas mal d’autres leviers sur lesquels on peut agir. C’est bien d’expliquer au patient, que face à l’anxiété, les médicaments ne sont pas la seule solution ».
Un exemple classique repris par Cyrielle Rambaud, d’un patient anxieux, qui a de nombreux anxiolytiques et somnifères, « Dans ces cas-là on peut proposer un traitement de fond avec un suivi psychologique, ce qui permet de réduire tous les autres médicaments. On a un bénéfice autant sur sa santé mentale que sur la liste de médicaments qui se réduit ».
Vous n’êtes pas seuls !
Plus facile à dire qu’à faire ? La déprescription est un vaste sujet qui nécessite de travailler main dans la main. L’Assurance Maladie souhaite ainsi, accompagner les médecins pour adopter les bonnes pratiques. Elle prévoit la visite de 22 000 généralistes d’avril à juin par les délégués de l’Assurance Maladie pour les aider au quotidien. Sur le terrain, des outils sont aussi à disposition pour aider à la prescription. C’est le cas des fiches de bon usage du médicament proposées par la HAS et l’Omedit en région. Enfin, en cas d’interrogation sur une prescription, le bon réflexe c’est d’interroger le médecin prescripteur pour lever le doute.
[1] Étude BVA sur l’usage des médicaments en France et en Europe, réalisée en septembre 2024 auprès de 2 000 personnes âgées de 18 ans et plus.
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