L’intelligence artificielle s’apprête à croquer les ophtalmos

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… et ils ne demandent que ca

L’intelligence artificielle s’apprête à croquer les ophtalmos

Google est en train de conduire un essai clinique en Inde pour automatiser, via l’intelligence artificielle, le dépistage des rétinopathies diabétiques. Alors, les ophtalmos vont-ils perdre leur boulot ? « Même pas peur », répondent-ils !

« Le médecin aura en 2030 le statut de l'infirmière en 2015 », prédisait il y a deux ans le Dr Laurent Alexandre dans nos colonnes. Son oracle est-il en train d’advenir plus tôt que prévu ? Certains spécialistes, qui voient aujourd’hui s’automatiser des tâches qu’ils effectuaient encore hier « à la main », pourraient le penser. Dernier exemple en date : les ophtalmos, qui devront bientôt compter avec un algorithme mis au point par Google pour diagnostiquer les rétinopathies diabétiques.

On se souvient en effet que l’année dernière, la firme californienne avait présenté un outil sachant distinguer une rétine saine d’une rétine pathologique aussi bien qu’un médecin, et avait publié ses résultats dans le Journal of the American Medical Association. La technologie utilisée reposait sur l’intelligence artificielle et le deep learning : c’est la même que celle qui permettait aux différents services de Google de faire la différence entre une photo de chien et une photo de chat. Mais jusqu’ici, le logiciel n’avait montré ses talents que dans un contexte expérimental, pas dans un cadre clinique… Du moins, c’est ce que l’on croyait.

Car lors d’une conférence organisée par le magazine américain Wired en juin dernier, Lily Peng, une responsable de Google, a annoncé que cette technologie avait commencé à sévir chez Aravind Eye Care System, une chaîne d’hôpitaux ophtalmologiques indiens. « C’est un outil de diagnostic, et nous l’avons validé », confirme au site indien Factor Daily le Dr Ramaswamy Kim, Chief medical officer chez Aravind. Celui-ci annonce qu’un article scientifique sera publié prochainement sur le sujet. « Je pense que cela pourrait devenir un bon outil de diagnostic », indique-t-il. « Tout dépend de la façon dont la sensibilité augmentera, mais elle pourrait être bien supérieure à celle qu’obtiennent des humains. »

Eh, l’IA, sors de là si t’es un homme !

Alors, si Google se charge de détecter les rétinopathies diabétiques, les ophtalmos vont-ils mettre la clé sous la porte ? Pas si vite ! Car lorsqu’on parle des innovations indiennes aux spécialistes français, ils sont plutôt enthousiastes. « Je ne demande pas mieux que d’avoir une machine qui lit automatiquement le cliché de la rétine tout en minimisant le risque de faux négatifs », indique par exemple le Dr François Pelen, fondateur du groupe de centres ophtalmologiques Point Vision. Pas très surprenant : cet ophtalmo est au moins autant entrepreneur que praticien, et il a comme tout industriel intérêt à remplacer le travail humain par des machines.

Mais ce qui est plus étonnant, c’est que l’on entend peu ou prou le même discours côté syndical. « Si on peut faire exécuter cette tâche par une intelligence artificielle, c’est un plus pour tout le monde », affirme le Dr Jean-Bernard Rottier, vice-président du Syndicat national des ophtalmologues de France (Snof). Celui-ci ajoute d’ailleurs que la question n’est pas de savoir s’il s’agit d’une menace pour la profession. « Cela va arriver », soupire-t-il, fataliste.

Tant qu’il y aura des patients…

Mais il semblerait que les ophtalmos aient de bonnes raisons de ne pas se faire trop de mouron. Car s’il est quelque chose que l’intelligence artificielle ne parviendra pas à leur enlever, c’est la demande de soins. « Il n’y a pas assez d’ophtalmos pour prendre en charge la population », constate François Pelen. « Tout ce qui peut être automatisé doit donc l’être, et tout ce qui peut être confié à d’autres professionnels de santé doit l’être aussi. »

Même son de cloche du côté de Jean-Bernard Rottier. « Aujourd’hui, on ne cherche pas l’activité, on l’a », estime le syndicaliste. L’intelligence artificielle est donc vue comme un outil permettant de dégager du temps médical, pas comme un concurrent. Mais attention, avertit le vice-président du Snof. Il ne faudrait pas que les autorités en concluent qu’il faut arrêter de former des ophtalmos. Son organisation a en effet récemment dénoncé la baisse du nombre de postes ouverts pour la discipline à l’issue des ECN (-10 par rapport à 2016, et -18 par rapport à 2015).

« Si on continue à nous piquer des postes, même avec des intelligences artificielles, on n’arrivera pas à répondre aux besoins », prévient Jean-Bernard Rottier. A moins que les algorithmes ne se mettent à faire bien d’autres choses que lire des clichés. Mais cela est une autre histoire.

Source:

Adrien Renaud

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