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À l’occasion de la journée de la santé mentale, qui est aussi la grande cause de 2025, l’AP-HP a tenu à valoriser son « offre de soins d’excellence » en psychiatrie. Lors d’un point presse, l’institution a insisté sur une organisation des soins couvrant « l’ensemble des âges de la vie, toutes les pathologies, et répondant aux situations cliniques les plus diverses ».
Parmi les priorités mises en avant figure la prise en charge des troubles psychiques complexes : des maladies psychiatriques caractérisées par « une évolution complexe et une résistance aux traitements standards », et souvent associées à d’autres comorbidités liées au contexte social de l’individu (précarité, isolement social, rupture professionnelle, violences intra-familiale…).
Pour répondre à ces situations de « copatholologies », l’AP-HP mise sur la mise en place d'unités spécialisées situées à la frontière entre psychiatrie et neurologie. Et pour cause, « on a évolué d’une psychiatrie généraliste à une psychiatrie de plus en plus spécialisée », résume le Pr Frank Bellivier, chef de service de psychiatrie et de médecine addictologique du GH Saint-Louis, Lariboisière-Fernand Widal, qui est aussi délégué ministériel à la santé mentale et psychiatrie.
Restaurer le dialogue
« Historiquement, ce sont deux spécialités distinctes, alors qu’on voit bien qu’il y a un continuum », regrette le Dr Emmanuel Cognat, neurologue à l’hôpital Lariboisière-Fernand Widal. Or « cette sorte de schisme » complique le dialogue, entrainant parfois des années d’errances pour les malades.
Il cite l’exemple des patients bipolaires, qui présentent trois fois plus de risques de développer des troubles neurocognitifs en vieillissant. Grâce à une bonne collaboration entre psys et neuros, comme promu par l’institution, « on parvient bien à les stabiliser », assure-t-il, plaidant pour des équipes pluridisciplinaires idéalement réunies « au sein d’un même lieu ».
« Depuis plus de dix ans », plusieurs unités de ce type ont vu le jour à l’AP-HP pour répondre à ces enjeux : l’unité de neurologie comportementale à La Pitié-Salpêtrière ; l’unité de neuropsychiatrie diagnostique et thérapeutique dans la bipolarité et le vieillissement à Lariboisière ; ou, plus récemment, l’unité des troubles neurologiques fonctionnels à l’hôpital Avicenne.
L’institution structure une partie de son réseau de prise en charge autour des Centres Experts de la fondation FondaMental - dont l’unité de Lariboisière fait partie - qui jouent un rôle « crucial » dans le diagnostic et la prise en charge des troubles psychiques complexes. Elle en compte huit répartis dans quatre hôpitaux, sur la cinquantaine existant au niveau national.
Toutefois, ce maillage suscite des critiques. Certains professionnels dénoncent le « monopole » que tendrait à instaurer la Fondation FondaMental sur le soin, via le développement de ses Centre Experts, alimentant une « guerre de chapelles », entre psychiatrie de secteur et psychiatrie non sectorisée.
Pas de débat mais une complémentarité
Une partie de la profession s’inquiète du virage neurobiologique pris par la discipline, incarné par FondaMental, dans un contexte de fragilisation de la psychiatrie de secteur. Sur le fond, ils redoutent qu’une approche trop centrée sur le cerveau réduise la souffrance psychique à un dysfonctionnement neuronal, au détriment de l’histoire du patient, de son contexte social et environnemental et de son suivi global.
D’autant que la Fondation FondaMental, structure de droit privé, a récemment été épinglée pour usage trompeur de données scientifiques à des fins des communication, comme l’explique Le Monde dans un article du 3 juin.
Questionné à ce propos, le Pr Bellivier y voit un débat stérile : « Je ne pense pas qu’on puisse opposer la psychiatrie de secteur et la psychiatrie non sectorisée sur la base de leur intérêt porté aux mécanismes neurobiologiques des maladies », puisque de toute manière, pathologies psychiatriques sont intimement liées à la physiopathologie du cerveau.
Pour le neurologue Emmanuel Cognant, la collaboration interdisciplinaire ne peut être que positive. « Les secteurs qui ne disposent pas de consultations ou d’expertises spécialisées sont très demandeurs de l’appui des structures » comme les Centre Experts, estime-t-il. Il cite en exemple une consultation menée avec une patiente accompagnée par son psychiatre de secteur, dont l’approche pluridisciplinaire a permis d’établir un diagnostic plus précis.
De manière générale, la psychiatrie dans son ensemble apporte déjà des réponses « très spécialisées », avec une multitude de professionnels de santé, selon Frank Bellivier. « Et pour les situations qui n’évoluent pas comme attendu, il est bien d’avoir des consultations de recours », continue-t-il, préférant parler « de complémentarités » et « d’articulations fonctionnelles » à trouver, plutôt que de débats.
Et concernant le poids des Centres Experts FondaMental, « ce n’est qu’une partie de l’histoire », assure-t-il, « il y a de très nombreux offreurs de soins qui portent ce recours spécialisé ».
Sans remettre en question la fragilité actuelle de la psychiatrie de secteur, « qu’il faut d’ailleurs vraiment soutenir », les psychiatres interrogés voient dans le rapprochement avec la neurologie une opportunité à encourager.
« On est vraiment au service des professionnels libéraux du secteur », rassure la Dr Hélène Vulser, responsable du centre de neurodéveloppement adulte du service de psychiatrie adulte de La Pitié-Salpétrière, qui dit, elle aussi, régulièrement organiser des consultations à trois, « bien accueillies » par les médecins concernés. « On a des patients extrêmement complexes : le secteur les reçoit, mais il doit parfois passer la main à des services capables de porter cette complémentarité », conclut-elle.
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