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« Nous sommes la dernière digue dans une région devenue un désert médical », résume Joachim Tutugoro, le directeur du centre hospitalier du Nord calédonien. Ces derniers mois, il a fermé les hôpitaux de Poindimié (côte est) et Koumac (nord), recentrant tous les moyens au pôle de Koné, le plus moderne des trois établissements.
« Il fallait absolument, coûte que coûte, préserver celui-ci », souligne-t-il. Mais l'hôpital fonctionne « dans des conditions dégradées ». Faute d'infirmiers disponibles, seuls 41 lits sur 64 sont actuellement ouverts.
La faute à un manque d'attractivité qui date du Covid-19, explique le directeur. Et depuis les émeutes de mai 2024, qui ont pourtant largement épargné la région, c'est la « pénurie ».
« Il y a un sentiment d'insécurité, une mauvaise image. Les gens ont peur », regrette-t-il.
À Koumac, commune de 4 000 habitants dans le « Grand Nord » calédonien, l'hôpital n'assure plus que des consultations de médecine générale. C'est un docteur burundais, Wilson Nkurunziza, qui y assure une permanence avec les moyens du bord.
« Dans la pratique, je suis limité. Je ne peux pas faire de prises de sang, je n'ai qu'une petite pharmacie », confie le médecin arrivé en novembre 2024, qui n'a « aucun regret » et s'apprête à accueillir sa femme et son fils, venus le rejoindre.
« Un retour 40 ans en arrière »
Comme lui, une poignée de praticiens tiennent le cap. Tous ont une anecdote sur la difficulté d'accès aux soins dans la région.
En février, un cas très médiatisé a frappé les esprits. Un bébé grand prématuré né à Ponérihouen (côte est) a attendu huit heures avant d'être pris en charge. Faute d'ambulance adaptée, seule l'intervention d'une sage-femme libérale a permis de stabiliser le nouveau-né d'à peine un kilo jusqu'à l'arrivée d'un hélicoptère militaire.
A Koumac, c'est un pêcheur sous-marin qui est décédé après une attaque de requins en janvier. « Le médecin du Samu est arrivé 1h30 après l'attaque », se souvient le maire Wilfrid Weiss : « Je ne dis pas qu'il aurait été forcément sauvé, mais il aurait eu un minimum de chance si on avait eu des urgences comme avant ».
« Aujourd'hui, une personne qui fait un arrêt cardiaque, quand elle arrive à Koné, elle est morte », poursuit le maire, qui évoque « un retour 40 ans en arrière » et regrette le déséquilibre entre le nord et le sud de la Nouvelle-Calédonie.
Mais l'hémorragie est générale, relève une étude publiée en avril par la Fédération des professionnels libéraux de santé (FPLS), qui soulignait que 47% de soignants déclaraient des intentions de départ.
Après les émeutes, nombre de soignants étaient déjà partis. Surtout des jeunes, constate Patrice Gautier, le président du FPLS. Conséquence de cette « perte d'attractivité phénoménale » : « l'état du système de santé de la Nouvelle-Calédonie est passé de préoccupant à catastrophique ».
Des médecins saturés et des patients qui consultent dans un état déjà grave
À Koné, Thomas Galindo fait ce qu'il peut. Le cabinet de ce chirurgien-dentiste calédonien, qui voulait à tout prix revenir sur le Caillou après ses études à Toulouse, est l'un des rares à encore fonctionner dans tout le nord. Sur près de 10 000 km2, ils ne sont que trois.
Depuis la fermeture de l'hôpital, « toutes les urgences vitales arrivent ici au cabinet », confie-t-il, ce qui le contraint à jongler avec son emploi du temps. Avec une pression supplémentaire : le téléphone sonne constamment, des patients se déplacent jusqu'à son domicile.
Il est membre du Collectif du Nord, regroupant soignants et habitants. Objectif : alerter les institutions sur l'effondrement du système. « On a perdu un hôpital, mais on n'a pas repensé l'offre de soins, le réseau de soins », déplore-t-il.
Un problème qui touche aussi les pharmacies, de plus en plus nombreuses à voir apparaître des patients désemparés.
« C'est quatre, cinq heures de queue pour voir un médecin et ils n'ont pas forcément le temps. Donc ils repoussent, repoussent, essaient de se traiter eux-mêmes et quand ils arrivent à la pharmacie, c'est dans un état dramatique », relève Dorine Baillieu, préparatrice en pharmacie à Pouembout.
Avec AFP
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