
Pierre-Michel Bernard, ORL et maire d'Anzin © DR
Le Dr Bernard est un enfant d’Anzin, cette petite ville de 13 000 habitants. Après son internat à Lille, il revient pour s’installer dans le territoire qui l’a vu grandir. Une attache locale profonde qui lui a donné envie de s’impliquer dans la vie politique locale à la fin des années 2 000.
À l’approche des législatives, le maire DVG a appelé à voter pour le Nouveau Front Populaire dans sa circonscription, par l’intermédiaire du député sortant Fabien Roussel. Rencontre avec un médecin engagé et ancré dans son territoire.
What’s up Doc : Après votre internat à Lille, vous revenez pour exercer dans votre ville d’origine. Mais comment êtes-vous entré dans la politique ?
Pierre-Michel Bernard : Je suis originaire d’Anzin, j’y suis né et ai effectué une grande partie de ma scolarité ici. J’ai fait mes études de médecine à Lille mais j’y suis vite revenu pour m’installer. J’y fais également du sport dans le club d’athlétisme que mon père (Michel Bernard, grand champion de demi-fond dans les années 1960, ndlr) a fondé.
La politique nationale ne m’a jamais vraiment intéressé, ce sont mes attaches locales qui m’ont fait m’investir dans la vie municipale. Certes, j’avais quelques antécédents familiaux : mon père avait été adjoint et ma femme a plus récemment occupé des fonctions d’élue.
Mon entrée à la mairie relève plutôt d’un concours de circonstances. À l’époque, on avait un maire qui, à mes yeux, ne pouvait pas représenter la ville dans la façon dont il exerçait. Et du côté de l’opposition, il n’y avait plus grand monde. Donc nous avons décidé de monter une association, de laquelle je suis devenu président. C’est ce qui nous a conduit à présenter une équipe plurielle aux élections municipales de 2008 face au maire sortant.
« Ce n’est vraiment pas facile pour les gens d’ici. En période de reprise, ils sont les derniers à en profiter car ils n’ont pas de diplômes ; et quand ça va mal, ce sont les premiers à en pâtir »
Aux élections européennes, les Anzinois ont voté à plus de 50% en faveur du Rassemblement National. Pourtant, vous êtes divers gauche et le député sortant de votre circonscription est communiste. Comment analyser cette ambivalence ?
P-M B : Premièrement, les élections locales sont très différentes des européennes. Il y a la notion de proximité qui entre beaucoup en compte dans le vote des habitants.
Ensuite, il faut savoir que la population d’Anzin, comme beaucoup de territoires du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais, est très pauvre. Il y a un taux de CMUc très important dans ma ville. Beaucoup de gens ont des problèmes économiques et sociaux très conséquents. Le taux de chômage, même s’il a un peu baissé dernièrement, avoisine toujours les 27%.
Il y a aussi une crise du logement importante, que la crise sanitaire n’a pas arrangée. On sait par exemple qu’il manque près de 6 000 logements au niveau de l’agglomération.
Donc ce n’est vraiment pas facile pour les gens d’ici. En période de reprise, ils sont les derniers à en profiter car ils n’ont pas de diplômes ; et quand ça va mal, c’est les premiers à en pâtir. Cela explique en partie que depuis des années, l’électorat ouvrier se tourne vers l’extrême-droite. Le discours de base que j’entends est le typique : « on ne peut pas savoir, on ne les a jamais essayés ». Ils estiment que pour eux, ça ne peut pas être pire.
C’est un vote de désespoir, rendu encore plus visible depuis le quinquennat Hollande, au cours duquel les gens n’ont pas vu beaucoup de différences en termes de politiques menées.
Historiquement, Anzin est une terre de gauche, c’est sûr. C’est l’héritage minier et sidérurgique. Il n’y a que le mandat avant le mien qui était étiqueté clairement à droite. Les autres maires successifs étaient surtout socialistes.
Mais à l’échelon plus élevé, c’est la précarité et ce sentiment de ne pas être écouté qui pousse à voter extrême-droite.
Vous avez soutenu directement l’alliance Nouveau Front Populaire par l’intermédiaire de la candidature du député sortant Fabien Roussel dans votre circonscription ?
P-M B : Le lendemain de la dissolution, j’ai appelé à voter dès le premier tour pour ne pas laisser dilapider les voix. Je ne peux pas accepter l’idée d’avoir un député du Rassemblement National dans ma circonscription. Donc même si je ne suis pas communiste, et que je ne valide pas à 100% l’union à gauche, je le soutiens et appelle à faire front contre l’extrême-droite, très influente ici.
Moi je me considère plutôt du centre-gauche. Sur ma liste, j’ai des socialistes, des communistes, et même des centres-droits. J’ai appelé à voter pour Fabien Roussel car il est le seul à pouvoir empêcher l’extrême-droite de passer dans ma circonscription.
« Niveau santé, dans le programme du Rassemblement National, il n’y a rien de très clair. À part dire qu’ils vont supprimer l’Aide médicale d’État, ils ne proposent pas grand-chose »
Et en tant que médecin, quels risques pour la santé pouvez-vous prévoir de cette éventualité ?
P-M B : Niveau santé, dans le programme du Rassemblement National, il n’y a rien de très clair. À part dire qu’ils vont supprimer l’Aide médicale d’État - et ce n’est pas ce qui va nous faire faire des économies monstrueuses - ils ne proposent pas grand-chose.
Comme tout le monde, le RN dit vouloir embaucher du personnel hospitalier, qu’il manque des milliards… Mais il n’est quasiment question que de dépenses, on ne sait pas comment ils vont compenser en entrées… à part dire qu’ils vont supprimer les aides aux migrants. Donc économiquement, on se pose des questions sur le sérieux du programme. Et puis, sur tous les fronts, c’est un mauvais signal. Je n’y vois rien de positif.
De l’autre côté, parmi les propositions en matière de santé du NFP, la régulation de l’installation des médecins libéraux. En tant qu’ORL installé, comment vous positionnez-vous ?
P-M B : C’était déjà un des sujets lorsque j’étais sur la liste PS pour les sénatoriales. Ce que j’en dis, c’est que l’on ne peut pas imposer aux médecins libéraux un lieu d’installation.
Déjà, il y a une crise de l’attractivité de l’exercice libéral, parce qu’on passe énormément de temps à faire de l’administratif, ce qui perd beaucoup de temps médical, chose que l’on a beaucoup moins dans le salariat. Donc ce n’est pas en contraignant que l’on va attirer des gens.
Je suis partisan de l’incitation plutôt que la contrainte. Il faut des aides à l’installation dans les déserts médicaux, des réductions d’impôts comme on a eu en zone franche... Et aider les maisons de santé, car aujourd’hui, les jeunes médecins veulent plutôt travailler en groupe, se répartir les astreintes, communiquer…
Donc oui pour l’aide à l’installation et à l’exercice des jeunes médecins. Si on leur met des contraintes, ils ne vont simplement plus se tourner vers le libéral.
« Lorsqu'on fait médecine, c'est pour aider les gens. La politique municipale c'est pareil »
En quoi votre métier de médecin vous aide-t-il dans votre fonction d’élu ? Ou inversement…
P-M B : Les deux mutuellement ! Le fait d’être maire et d’avoir mon activité professionnelle ici, font que je reste aux contacts des habitants qui sont aussi mes patients.
Le souci dans la fonction de maire, c’est qu’on a de plus en plus de réunions interminables, qui raréfient le temps passé sur le terrain. Donc l’avantage, c’est que par mon activité de médecin, j’ai des retours en direct de la part des patients-citoyens.
Bien-sûr, il ne faut pas que la consultation ne se transforme en débat politique, mais cela me permet aussi de tisser des liens avec les habitants, surtout ceux que je vois depuis longtemps, qui me font part facilement des difficultés qu'ils rencontrent.
D’ailleurs, ce lien que j’entretiens avec les patients peut jouer aussi dans une perspective électorale. J’ai parfois des patients qui me disent : « Moi je vote RN, mais aux élections municipales je vote pour vous, docteur ! ». C’est par la proximité que l’on peut faire changer les votes.
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/quand-tu-dois-choisir-entre-etre-maire-et-medecin
Pour finir, quelles qualités faut-il avoir pour être à la fois un bon maire et un bon médecin de proximité ?
P-M B : L’empathie. Surtout quand nous sommes chez nous. De toutes façons, lorsqu'on fait médecine, c’est pour aider les gens. La politique locale c’est pareil. On cherche à les aider, y compris dans leurs problématiques socio-médicales.
À la mairie, on a des médiateurs-santé pour aider les gens qui n’ont pas de couverture sociale. Ils font les démarches avec eux, et essayent de trouver des médecins ou autres professionnels de santé pour leur famille. On veut faire en sorte que les habitants n’aient plus ce sentiment que personne ne fait rien pour eux. Et cela passe avant tout par l’empathie.
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