Cueilleuses pécheresses

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Critique de Quand vient l’automne, de François Ozon (sortie le 2 octobre 2024).

 Michelle, qui coule une retraite paisible et champêtre dans un petit village bourguignon, agrémentée par les balades et les cafés avec son amie de toujours Marie-Claude, accueille sa fille et son petit-fils pour les vacances. Les rapports avec celle-ci sont tendus, et très rapidement tout dégénère. Qu'est-ce donc que mère et fille ne digèrent pas?

Cueilleuses pécheresses

Hélène Vincent et Josiane Balasko dans Quand vient l'automne de François Ozon.

© DR.

Le dernier Ozon, alors qu'il foisonne de thèmes passionnants, est étrangement raté, tantôt bateau tantôt pataud. Et nous laisse partagés entre petite déception et intense frustration...

A quoi tient la réussite d'un film ? Ou encore son pendant, le ratage ? Ou plutôt, à quoi tient le fait qu’un succès prévisible n'ait pas abouti ? Le nouveau François Ozon, placé sous l'égide fétichiste du champignon, nous confronte à cette énigme et à cette dichotomie. Tout comme il est parfois difficile, et potentiellement mortel, de distinguer un bon champignon d'un mauvais jusqu'à l'avoir consommé, ce conte du troisième âge délicieusement (a)moral - marque de fabrique du réalisateur - interpelle tant sa vision nous confronte à la certitude que nous n'avons pas affaire à un bon cru. Un comble quand on pose ses caméras en Bourgogne.

Les premières scènes, faussement simples, nous rappellent l'habileté du cinéaste à créer instantanément un univers, c'est-à-dire la synthèse entre un environnement et une atmosphère, et à y installer une dissonance. L'on comprend d'emblée que, chez cette drôle de paroissienne passant le temps d'une absence de la quiétude à l'inquiétude, quelque chose ne tourne pas rond. Entrée dans la maladie neurodégénérative ? Clivage psychologique ? Des réponses seront apportées, mais pour autant le film ne cessera de se dérouler sur une antinomie fondamentale : l'alternance entre la suggestion et la surcharge. C'est ce qui, selon nous, le conduit à l'échec. Tout comme deux espèces à la fois ressemblantes et fondamentalement différentes, Quand vient l'automne fait se côtoyer deux films, celui que l'on voit - et qui déçoit pour de multiples raisons, principalement une réalisation pépère, des dialogues poussifs, de nombreux personnages outranciers mal défendus par leurs interprètes, et un suspense de pacotille - et celui qui se tient tapi dans l'ombre. C'est ainsi que, bien qu'émaillé de comportements criminels, leur intention et leur réalisation sont constamment laissées hors champ. 

« Le cinéma d'Ozon repose sur une lutte entre deux tendances, deux aspirations contradictoires, l'exhibition et le camouflage »

C'est finalement une constante chez Ozon, dont le cinéma repose sur une lutte entre deux tendances, deux aspirations contradictoires, l'exhibition et le camouflage. C'est aussi ce qui explique, au-delà de sa frénésie filmique, l'inégalité de son oeuvre: à trop lutter, il y a toujours un perdant, et cette fois c'est le perdant qu'Ozon choisit de mettre en avant. C'était d'ailleurs déjà le cas dans Eté 85, avec qui le film, au-delà d'une analogie saisonnière et policière, partage de nombreuses similitudes, au premier plan desquelles un caractère assez bancal.

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C'est vraiment dommage, car au milieu de cette surenchère psychologisante et symboliste dont le sous-texte crypto-gay tourne au systématisme, de ces artifices de narration souvent foireux, Ozon garde une aptitude intacte à la férocité voire à la provocation. Rarement ont été étudiés avec une telle noirceur les rapports entre parents et enfants, et si ténue la frontière entre fantasmes inavouables et passages à l'acte impardonnables, directs ou non, conscients ou pas. A l'image du lien forgé par ces deux amies de jeunesse interprétées par une Hélène Vincent et surtout une Josiane Balasko impeccables et qui, de par un passé qu'Ozon saura pour le coup intelligemment tenir à distance, tient probablement plus du pacte de survie qu'autre chose, s'affranchissant dès lors de toute morale. Ce qui ne les empêche pas, chacune à leur façon, d'être dans une quête inaltérable de rachat. Le prologue, biblique, est en ce sens hautement significatif, tout comme cette sentence toute en douce perversité prononcée sur un lit de mort : l'important n'est pas de réussir à faire le bien, mais de le vouloir. Un aveu d'échec de la part du maître ? Cela lui sera à moitié pardonné.

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