
What's up Doc : Vous avez eu votre premier enfant au début de vos études, quelle était votre situation à ce moment ?
Camillia : En septembre 2014, je suis rentrée en PACES. On m'a dit que c'était difficile mais j'avoue que je ne l'ai pas cru. Je pensais que ça allait être un peu comme au lycée, tu révises quelques semaines avant et c'est bon pour les examens. Finalement, j’avais totalement tort, et mon année s’est très mal passée. Je retente en 2015, une nouvelle fois je ne réussis pas. J’ai donc pensé à aller en Roumanie, puis j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari (et le père de mes enfants) donc j’ai remis ce projet en question. Puis j’ai eu des soucis de santé qui ont définitivement mis à point d’arrêt à mon départ en Roumanie.
Je me réoriente alors vers une fac de droit. Ça se passe très bien, j’ai des bonnes notes et j’en suis très contente. Je passe en deuxième année, et c’est en janvier de ma L2 de droit que j’apprends que je suis enceinte. Ce n’était pas du tout prévu ! Le ciel me tombe sur la tête. Mais, à l’inverse de moi, le papa était très enjoué. Pour lui, c'était une bonne nouvelle donc ça a dissipé un peu mes doutes. Si je suis accompagnée par quelqu'un qui souhaite cet enfant tout se passera bien.
Avez-vous pensé à arrêter les études ?
Camillia : Dans ma tête, je devais arrêter les études et les reprendre l'année suivante. Mais, ma mère m’a dit : « Tu es enceinte mais tu n’es pas malade, tu n’es pas plus bête qu'une autre. Tu iras au bout de cette année. » Moi, je n’y croyais pas. Le droit est une filière difficile, mais alors avec une grossesse cela me semblait impossible. Les trois premiers mois de ma grossesse, j'étais très malade. Pourtant, j’ai validé ma deuxième année et je suis passée en troisième année ! J’ai accouché de ma fille en octobre et j'avais décidé de faire ma troisième année à distance en me disant que ce serait plus simple. Finalement, la maternité était plus compliquée que prévue et j’ai redoublé ma L3. En septembre 2019, je repars pour une nouvelle année et en janvier 2020, quelques mois après la rentrée, je retombe de nouveau enceinte. Encore une fois, ce n’était pas du tout prévu. Nous avions un autre enfant d’à peine plus d’un an et j’étais encore en études, je ne voulais pas d’un deuxième enfant. Au final, je perds le bébé deux semaines après avoir appris la grossesse. La perte de cet enfant a été difficile, si au début je ne le voulais pas, je ne supportais pas d’avoir fait une fausse couche…
Puis, en février 2020, je retombe une nouvelle fois enceinte. Il n’y a pas de doute cette fois, la perte de mon bébé à peine un mois avant m’avait tellement attristée que j’étais très heureuse. Mon état d’esprit avait complètement changé : si j’avais réussi mon année avec ma première grossesse, je réussirais celle-ci aussi.
À quel moment l’option de retourner en études de médecine est apparue ?
Camillia : J’ai réussi ma troisième année et j’ai obtenu ma licence de droit avec mention. Le problème est que mon université ne proposait que des masters en alternance. Comme je n’avais pas de d'expérience, j’ai essuyé plein de refus. J’ai donc décidé de travailler pendant un an, pour gagner en expérience et réussir à trouver une alternance l’année d’après. Je suis devenue mandataire judiciaire.
Entre-temps, la LAS est apparue. L'idée de passer par une LAS pour revenir en médecine germe dans ma tête. Je me renseigne sur ce parcours qui me permettrait d’accéder à mon rêve d'être médecin. Mais ce sont des études longues et compliquées, beaucoup de doutes s’installent. J’avais déjà raté deux fois la première année en étant célibataire et sans enfants, comment je pourrais réussir médecine avec deux enfants à charge ? J’ai quand même décidé de me lancer. J’ai formulé 10 vœux, j'étais en attente sur les 10. Au final, une seule formation m’a acceptée. Je n’avais qu’une chance de retenter médecine, il fallait que je la saisisse.
Quelle a été la réaction de votre mari ? Vous a-t-il soutenue ?
Camillia : J’ai beaucoup discuté avec lui. Je lui ai expliqué que des études de médecine impliquait de ne pas acheter de maison avant au moins 10 ans, qu’il allait y avoir des périodes de révision intenses durant lesquelles il devrait se considérer comme père célibataire parce que je serais obligée de me concentrer sur mes études. Il a tout accepté. Et je ne m'inquiétais pas plus que ça ! Ce n’est pas le genre de père démissionnaire qui se repose entièrement sur la maman. Je rentre donc en première année de médecine en septembre 2021.
Comment s’est passée la reprise d’études de médecine ?
Camillia : Je parviens à trouver un rythme. Je révise après que mes filles soient couchées le soir. C’est dur, mais je m’en sors. Le second semestre a été beaucoup plus compliqué pour moi puisque j'avais énormément donné pour le premier. Mais, c’était la dernière ligne droite, beaucoup de personnes se découragent à ce moment-là. Je me dis : « Toi, tu sais comment ça s'est passé la première fois. Il ne faut vraiment rien lâcher. » Je termine l’année avec 15 de moyenne. Je suis classée 6e sur une centaine d'élèves sachant que seuls les neufs premiers étaient admis d’office. C’est après cette admission que Kevin met sur la table l’idée d'un troisième enfant. Je me dis qu’il a perdu la tête. Après l'année que je viens de vivre, on ne peut pas parler d'enfants. Il faut que je me repose. Sauf qu’il a réussi à me convaincre, en me disant : « Si on a un troisième enfant maintenant, ils seront rapprochés. On souffre bien d'un coup et après ça tout ira mieux ! » Je me suis laissée tenter mais je pense qu'on a minimisé la difficulté d’avoir trois enfants en bas-âge.
Vous avez tout de même réussi à valider votre année ?
Camillia : En novembre 2022, je tombe enceinte de Isaac. Le premier semestre de la grossesse est catastrophique. Je n'ai pas la possibilité de me lever, je suis très malade. Je n’ai pas pu passer les examens du premier semestre, je dois passer 11 rattrapages. Je les ai révisés pendant mon 8e mois de grossesse. C’était compliqué mais je ne voulais absolument pas redoubler. Je valide 10 rattrapages sur 11. Donc j'ai qu'une seule dette pour rentrer en 3e année. J’accouche de mon troisième enfant pendant les vacances d’été. Malheureusement, il a développé de l'asthme du nourrisson. On a eu cinq hospitalisations en tout durant ma troisième année de médecine. Psychologiquement, c’était dur. Je finis l’année avec cinq rattrapages. J'y vais confiante. Si j’ai réussi 11 rattrapages alors que j’étais enceinte, cinq, ça devrait le faire. Et en effet, j’ai réussi un nouvelle fois. Actuellement, je suis en 4e année de médecine avec trois enfants, et je souhaite devenir médecin généraliste.
J’imagine que les révisions sont prenantes. Vos enfants, parviennent-ils à comprendre cette situation ?
Camillia : Mon garçon a un an et demi, il est encore trop petit pour comprendre. Mais pour mes deux filles c’est parfois compliqué. On essaye de dégager du temps les weekends pour nos enfants. Je communique au maximum avec elles. Je leur explique que je suis encore étudiante mais que lorsque je ne le serais plus j’aurais beaucoup plus de temps pour elles.
Après coup, avez-vous quelques regrets ?
Camillia : Je ne regrette rien. Je suis très reconnaissante de la vie que j’ai aujourd’hui. J'ai une chance inouïe de pouvoir faire des études qui me plaisent. C’est sûr que les conditions ne sont pas les plus adaptées. Le problème, c’est que rien n’est fait pour nous, les parents. Moi encore, j'ai eu mon dernier enfant pendant mes études de médecine, et c’était voulu ! Mais ce n’est pas le cas pour certaines. Il n’y a pas d’aménagement : pas de crèche à l’université, pas de congé maternité, pas de congé enfant malade, etc. J'arrive à me dire que c'est temporaire mais ce n'est pas facile pour nous.
Qu’est-ce que vous diriez à nos lectrices qui seraient dans votre situation, enceintes et étudiantes en médecine ?
Camillia : Je leur dirais que c'est normal de paniquer. C’est peut-être bateau, mais tout va bien se passer. Il faut qu'elles fassent des choix en fonction d'elles-mêmes. Qu'elles ne pensent pas qu’elles ne vont jamais y arriver. Elles ne sont obligées ni d'abandonner leurs études, ni d'avorter. Lorsqu’on tombe enceinte pendant les études, ce sont les seuls choix qu'on nous donne mais ce n’est pas la réalité.
Aussi, il ne faut pas hésiter à prendre contact avec la faculté et à expliquer sa situation pour demander des aménagements. En tout cas, il n’y a rien qui tombera du ciel. Personne ne va venir auprès de vous pour vous demander de quoi vous auriez besoin.
En bref, avoir un (ou plusieurs) enfant pendant ses études, ce n’est pas une catastrophe. Ce n’est pas non plus une erreur. C'est juste une réorganisation.
Bravo à toi!! 2 bébés pendant l’internat et vraiment rien à voir avec votre parcours pendant la première partie des études, plus que 2/3 années difficile et avec une moitié de classement pour la médecine générale dans ta ville, tu pourras choisir les stages que tu souhaites et retourner à une vie « presque » normale, bon courage!