Black Pawn

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Ciné week-end: Le Prodige, de E. Zwick (sortie le 23 septembre 2015)

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Décidément, 2015 est pour les States l'année de la redécouverte de leur histoire récente à l'aune de leurs génies malades, comme si leur grandeur les condamnait à frôler les précipices. Après Brian Wilson et sa vision hallucinée du rock à l'âge "Beach Boys", on reste dans les sixties avec Bobby Fischer, prodige des échecs.

Né d'un père qu'il ne verra jamais et d'une mère juive et sympathisante communiste se sachant surveillée , le jeune Bobby est dès son plus jeune âge conditionné à la méfiance et à la vigilance. Sa découverte et son obsession rapide des échecs, si elles lui permettent d'abord de s'isoler d'un monde qui le déçoit, vont très vite le précipiter au coeur d'une époque - la Guerre Froide - venant faire écho à ses propres traumatismes. En colère contre une mère qui n'a jamais voulu qu'il rencontre son père, il va se révolter contre l'hégémonie soviétique sur le jeu d'échecs professionnel, qu'il estime usurpée. Et peu à peu sombrer dans une paranoïa qui ne l'empêchera pas de gagner le "match du siècle" contre la gloire intouchable de l'époque, Boris Spassky.

Le Prodige, film dont la facture classique n'affadit jamais la fascination qu'il procure, montre combien l'apogée du joueur fut difficile à atteindre, et condamnée à être éphémère, tant sa folie semble galopante. Voilà un beau tableau d'une paranoïa qui, comme dans Un homme d'exception, semble être le fruit monstrueux d'un pays malade. Le paranoïaque est celui qui dit la vérité, paraît-il. Il dit en tout cas celle des années 60, particulièrement bien retranscrite.

Hypertrophie du Moi, rigidité du jugement, suspicion pathologique puis délirante...Tobey Maguire compose avec talent un authentique paranoïaque de l'avant-DSM. Il permet à ce film d'époque de basculer vers un univers étrange, une prison mentale qui ne sont pas sans rappeler Black Swan, de Darren Arronofsky, substituant à la magie du corps les prouesses de l'esprit. Ou comment un talent cultivé à l'extrême semble condamné à dompter une obsession, voire un délire, sous-jacents. A cet égard le choix de montrer un Boris Spassky quasi-muet, le regard presque toujours caché derrière des lunettes noires, et entouré de fantoches caricaturaux venant illustrer lourdement le régime soviétique de l'époque, est au final plus judicieux que lourdingue. Car on en vient à douter de l'existence même de ce personnage constamment ridicule, correspondant de trop près à l'image que Fischer devait avoir de ce Russe honni, projection honteuse et inenvisageable de lui-même. Est-ce Spassky que l'on voit, ou une production de l'esprit malade de Fischer? Le film prend alors la dimension d'un combat entre le cygne blanc et le cygne noir, le génie et la part noire qu'il recèle. 

Fascinant...

Source:

Guillaume de la Chapelle

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