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« Le montant total des dépassements d'honoraires des médecins spécialistes atteint 4,3 milliards d'euros en 2024 », et s'accélère fortement depuis 2019 (+5% par an en valeur réelle, hors inflation) », note le HCAAM dans son rapport.
Cette hausse résulte en premier lieu de l’augmentation de la proportion, toutes spécialités confondues, de praticiens en secteur 2 (Optam et hors-Optam), au cours des dernières années. On en compte 56% en 2024, contre seulement 37% en 2000, alors que les généralistes exercent pour la quasi totalité en secteur 1.
De plus, l’extension récente des conditions d’accès au secteur 2, autrefois plus rigides, ainsi que les réformes successives de l’Optam, ont rendu « presque aussi avantageuse l’installation en secteur 2 qu’en secteur 1 », explique Yann-Gaël Amghar, président du HCAAM, en présentant le rapport ce matin en conférence de presse. À tel point qu’aujourd'hui, lorsqu’ils s’installent, les trois quarts des jeunes spécialistes choisissent le secteur 2, alors qu’ils étaient seulement deux tiers en 2017.
La proportion de médecins en secteur 2 est plus élevée dans les grandes métropoles avec un haut niveau de vie (Paris en compte 80%), mais « n’épargne pas les territoires les plus pauvres », comme la Seine-Saint-Denis, précise l'organisme.
Les niveaux explosent
La croissance des dépassements d’honoraires est aussi alimentée par la hausse des taux pratiqués, et par une tendance des médecins à diminuer le nombre d'actes maintenus à tarif opposable, note le HCAAM.
« Les niveaux de dépassements, qui avaient connu un ralentissement dans les années 2010 » - avec la création du Contrat d’accès aux soins (CAS, ex-Optam) pour maîtriser les dépassements - « sont récemment repartis à la hausse », avec un taux moyen à 48%, détaille Yann-Gaël Amghar.
Si certains contextes récents expliquent des niveaux de dépassements plus élevés (années Covid, inflation), c’est la poursuite de cette augmentation aujourd’hui qui interpelle, alors que ces éléments d’explications « ne sont plus valables » analyse Dominique Polton, experte au HCAAM.
Des taux supérieurs à 180%
Les dépassements représentent une part importante du revenu des médecins qui les appliquent, qui gagnent en moyenne mieux leur vie que leurs homologues en secteur 1, malgré des tarifs opposables plus faibles et des niveaux de cotisations et charges sociales plus élevés. À ce titre, les ophtalmos, qui exercent à 60% en secteur 2, gagnent en moyenne 40% plus que leurs confrères en secteur 1.
Pour autant, les écarts de rémunération entre les spécialités ne s’expliquent pas complètement par les dépassements d’honoraires, nuance Yann-Gaël Amghar. Au contraire, « les spécialités les plus rémunératrices sont celles où il y a peu de dépassements d’honoraires, car les tarifs sécu sont déjà très élevés ».
Au sein de chaque spécialité, le Conseil remarque des niveaux de rémunération très hétérogènes « qui offrent à une petite minorité un niveau de rémunération très atypique ». Cette tendance est particulièrement visible dans les spécialités chirurgicales, où 10% des professionnels pratiquent des dépassements supérieurs à 184%.
Or, des dépassements élevés « peuvent induire un reste à charge élevé pour les patients », qui y sont exposés de façon très inégale, selon leur lieu d’habitation, leurs besoins en soins (ALD), et la nature de leur contrat. Si la participation des complémentaires santé tend à amoindrir ce reste à charge, avec une prise en charge moyenne de 40% des dépassements, celle-ci reste « très variable selon les contrats ».
En 2024, le reste à charge des ménages a légèrement progressé, de 276 à 292€, selon le rapport annuel de la Drees.
Les dépassements creusent les inégalités d’accès aux spécialistes
D’autant plus que les dépassements sont élevés, y compris sur des soins essentiels, « ce qui va un peu à rebours de la philosophie de notre système de santé », juge Yann-Gaël Amghar. Par exemple, pour une intervention de prothèse totale de la hanche, « près de la moitié des patients s'acquittent de dépassements (630€ en moyenne et plus de 1000€ dans 10% des cas) », illustre le rapport.
Selon le Haut conseil, les restes à charge les plus élevés après intervention de la complémentaire santé concernent à la fois les patients les plus aisés, qui vivent dans des communes avec un fort taux de dépassements, mais aussi les patients plus modestes, qui ont tendance à être moins bien protégés par leur complémentaire, ou à ne pas recourir à la complémentaire santé solidaire (C2S) lorsqu’ils y sont éligibles. Dans tous les cas, « les dépassements d’honoraires renforcent les inégalités d’accès à certains spécialistes », commente le HCAAM.
Faut-il voir dans ces résultats un échec du dispositif Optam ? Pas nécessairement, puisqu’il permet toujours de maîtriser le niveau de dépassement. Et « on remarque que lorsque les praticiens maîtrisent leurs dépassements, ils augmentent leur volume d’activité », ce qui est positif du point de vue de l’offre de soins, continue le président du HCAAM.
Là où c'est préoccupant, en revanche, c’est au niveau de « l’effet de flux », dans la mesure où appliquer des dépassements d’honoraires « devient presque une norme » pour les jeunes générations de médecins. Ce qui pousse le HCAAM a conclure que la dynamique va « se poursuivre » dans les années à venir. « Dans dix ou quinze ans, quand ils auront fait leur patientèle, il y a des risques que la rivière sorte de son lit », anticipe Yann-Gaël Amghar, qui ajoute que le Haut conseil va commencer à travailler sur des préconisations « en octobre ».
Quant au nombre de médecins en secteur 3, soit en dehors du cadre conventionnel, il reste « assez marginal », avec quelque 800 praticiens sur tout le territoire, toutes spécialités confondues, note le HCAAM.
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