« On vit une période intéressante : c’est la mort de la médecine libérale »

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Sociologue de la santé, Frédéric Pierru est coutumier des médias (nos colonnes y compris), où il s’exprime souvent pour y défendre un système de soins plus juste et solidaire. Depuis peu, il est devenu porte-parole santé de la France insoumise, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Un débouché « logique » pour cet universitaire qui pense, avec Durkheim, que « la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne permettait pas d’alléger les souffrances du monde ». Pour What’s up Doc, il a accepté de discuter du programme santé de la France insoumise, dont il est l’une des chevilles ouvrières. Entretien.

« On vit une période intéressante : c’est la mort de la médecine libérale »

What’s up Doc. Une des mesures-phares de votre programme santé consiste en la création d’un corps de médecins-fonctionnaires. Vous nous expliquez ?

Frédéric Pierru. Les jeunes générations de médecins ne veulent plus, dans leur très grande majorité, de l’exercice libéral individuel. Féminisation, aspiration croissante à une vie plus équilibrée, souci de ne plus exercer seul : tout ça concourt à la fin de la médecine libérale. Par ailleurs, on manque cruellement de médecins, dans les zones rurales et les « quartiers » à la périphérie des grandes villes. Nous voulons répondre aux aspirations des jeunes professionnels tout en luttant contre les déserts médicaux.

WUD. Ce qui passe notamment par les centres de santé.

FP. Oui, nous voulons créer 4000 centres de santé, où exerceraient des médecins salariés ou ces nouveaux médecins fonctionnaires. Ce serait soit des SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif, ndlr) soit des établissements publics, souvent adossés à l’hôpital public, qui peuvent être gérées par des mutuelles, des collectivité territoriales, la sécurité sociale... Notre priorité c’est d’organiser un service public de soins primaires.

WUD. Qu’en est-il des médecins fonctionnaires, alors ?

FP. Ça existe déjà, en quelque sorte, avec les contrats d’engagement de service public. Mais nous voulons accentuer le caractère incitatif en fournissant une rémunération conséquente durant les études. En échange, l’étudiant s’engagerait à exercer comme fonctionnaire pendant 10 ans. Au-delà de ce délai, vous pouvez démissionner et changer d’exercice. C’est un peu comme l’ENA. Nous voulons créer 10 000 postes de médecins fonctionnaires sur cinq ans.

WUD. Pourquoi des fonctionnaires plutôt que des PH ou des salariés ?

FP. On pourrait très bien avoir des médecins salariés dans les centres de santé : nous sommes pour une diversité des statuts. Mais nous pensons qu’il est bien que la collectivité dispose d’un corps de médecins fonctionnaire. Ce n’est pas si révolutionnaire, ou alors ça l’est au sens propre : la Révolution française l’avait envisagé, avec les officiers de santé.

WUD. Passons au libéral. Vous supprimez le secteur 2 ?

FP. Oui, clairement. Le secteur 2 pose un vrai problème pour l’accès aux soins. La banalisation des dépassements d’honoraires, leur non-régulation, leur inflation, sont pour moi le cancer de la solidarité en santé. On est pour la disparition à terme du paiement à l’acte, qui ne sera plus le mode de rémunération normal des professions de santé.

WUD. En somme, vous souhaitez en finir avec la médecine libérale.

FP. Oui, et il n’y a pas que nous ! Je discute souvent avec des jeunes médecins : fondamentalement, ils n’ont plus envie de ça. Être salarié, voire fonctionnaire, ça ne les gêne pas. La capitation non plus. On vit une période intéressante : c’est la mort de la médecine libérale telle qu’elle a été définie en 1927. On veut prolonger et amplifier ce mouvement de désertion des jeunes professionnels vis-à-vis de la médecine libérale.

 

Pour en savoir plus, le carnet de santé de la France insoumise sera disponible dans les jours qui viennent sur le site JLM2017. En plus d’une transition vers un service public de soins primaires, il prévoit notamment une disparition des organismes complémentaires au profit d’une sécurité sociale universelle, et un remboursement des soins à 100 %.

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