Une femme meurt toutes les 7 minutes : pourquoi la cardiologie reste sexiste ?

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Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez la femme, pourtant 80% des décès pourraient être évités. Dans ce premier volet d'une série d’articleS, nous nous intéressons à la Fondation Agir pour le cœur des femmes, et explorons, avec une experte du domaine, les causes du retard de prise en charge.

Une femme meurt toutes les 7 minutes : pourquoi la cardiologie reste sexiste ?

© Midjourney X What's up Doc

En France, une femme meurt toutes les 7 minutes d’une maladie cardiovasculaire. Pourtant, 8 décès sur 10 pourraient être évités. En cause ? Des retards de diagnostics et de prise en charge. Mais aussi, des patientes qui ne se sentent pas concernées par ces maladies. 

Selon les chiffres de la Fédération Française de Cardiologie (FFC), 74% des femmes n’identifient pas les maladies cardio-vasculaires comme étant la première cause de mortalité féminine et 55% pensent que ces pathologies touchent essentiellement les plus de 50 ans. 

Au global, la mortalité cardio-vasculaire baisse mais pas uniformément. Pour les femmes de moins de 55 ans, elle est même en hausse. Afin de lutter contre les disparités de prise en charge des pathologies cardio-vasculaires chez les femmes, des voix s’élèvent.

À travers des initiatives telles que le Bus du Cœur des Femmes, lancé en 2021, et la Journée du Cœur des Femmes en 2024, la Fondation Agir pour le Cœur des Femmes mène des actions de sensibilisation, d'information et de prévention sur les maladies cardio-vasculaires.

Ces opérations itinérantes permettent à la Fondation de se rendre directement au contact des femmes dans toute la France, pour leur offrir des dépistages gratuits.

En parallèle, la Fondation a lancé l'Observatoire National de la Santé des Femmes (ONSF) en collaboration avec le CHU de Lille. Depuis 2021, cet observatoire a permis d'analyser plus de 13 000 dossiers médicaux afin de mieux comprendre les facteurs de risque et de « contribuer à l’évolution des stratégies de prévention et de prise en charge. » 

Ces actions s'inscrivent dans un objectif ambitieux : « sauver la vie de 100 000 femmes d’ici 2030. » 

Pour comprendre davantage comment fonctionne le Bus du Cœur des Femmes et la Journée du Cœur des Femmes, Stéphanie Clément-Guinaudeau, membre de la fondation, a accepté de répondre à nos questions. 

Le dépistage, un moyen de remettre les femmes dans un parcours de soin

Cardiologue à la clinique du sport Bordeaux-Mérignac, Stéphanie Clément-Guinaudeau est spécialisée en imagerie cardio-vasculaire. C’est lors du passage du bus à Pessac, près de Bordeaux, qu’elle a été contactée pour y participer. Elle explique : « ce sont des médecins locaux qui font marcher le bus à chaque étape. Il n’y a pas d’équipe fixe qui se déplace de villes en villes. »

En chiffres, ce sont « près de 15 000 femmes qui ont pu bénéficier d’un dépistage cardio-vasculaire et gynécologique de deux heures. Plus de 2 500 professionnels de santé se sont impliqués bénévolement dans 53 étapes à travers la France », peut-on lire sur le site internet de la Fondation.

Le dépistage gratuit mit en place par le Bus est très protocolé : « on effectue de façon systématique un électrocardiogramme, un doppler vasculaire et aussi un test cardio-métabolique où on prend le poids, le périmètre abdominal, la glycémie, la tension et un bilan lipidique. » Ensuite, les participantes s’entretiennent avec des médecins addictologues et des gynécologues.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/les-femmes-ont-au-moins-deux-facteurs-de-risque-cardio-vasculaire

Le dispositif cherche à aller au contact de femmes plutôt précaires, pour qui l’accès au soin n’est pas évident. « Nous avons mis en place un score de précarité. Celles qui viennent doivent remplir ce questionnaire, et on s'est aperçu que même pour les femmes qui ne sont pas précaires, il n’y a pas une grande différence : presque toutes présentent un ou plusieurs facteurs de risques cardio-vasculaires », nuance-t-elle.

À l’issu du dépistage, chaque patiente repart avec un courrier à destination de son médecin traitant, « afin de les remettre dans un circuit de soins. » Évidemment, si une pathologie plus inquiétante est découverte, des rendez-vous rapides avec des professionnels de santé leur sont proposés. Et dans les cas extrêmes, certaines femmes sont envoyées aux urgences.

Stéphanie Clément-Guinaudeau se souvient : « lors du passage du bus en 2023, une dame avait un anévrisme sur l'aorte abdominale qui était en train de se fissurer. Sans le dépistage, quelques heures plus tard, elle serait décédée. Ça lui a sauvé la vie. »

Agir oui, mais s’éduquer avant tout

Les actions portées par la Fondation Agir pour le Cœur des Femmes sont encourageantes, mais alertent surtout sur les retards de prise en charge qui, dans certains cas, peuvent être fatals. Pour soigner correctement, il est nécessaire que les médecins, cardiologues ou non, en comprennent les causes.

Stéphanie Clément-Guinaudeau le martèle : les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité chez la femme, « mais cela ne veut pas dire que les femmes font plus d'infarctus que les hommes, ça veut dire qu'elles en meurent plus. »

Elle précise que les femmes sont juste prises en charge plus tardivement et de façon moins « agressive » et « optimale. »

Du côté patiente, on sait qu’en majorité les femmes se préoccupent moins de leur propre santé que de celles de leurs proches. La FFC, dans une étude, met en évidence que c’est le cas pour 68% d’entre elles. 

Le médecin et les études scientifiques ont aussi une part importante de responsabilité. La cardiologue bordelaise explique que « lorsqu’une femme va aux urgences parce qu'elle se plaint de douleur dans la poitrine, elle a plus de chances qu'on lui dise qu'elle fait une crise d'angoisse qu’une crise cardiaque. »

Ces réactions proviendraient d’une croyance qui persiste en santé selon laquelle « les pathologies cardiovasculaires sont plus fréquentes chez les hommes. On ne s'entend pas à ce qu'une femme de moins de 50 ans fasse un infarctus. Mais c’est tout à fait possible ! »

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/journee-du-droit-des-femmes-lufc-que-choisir-denonce-un-scandale-sanitaire-les-femmes-sont

Une partie importante du problème réside dans le manque de données. Celui-ci a des effets autant sur la prescription post-diagnostic que sur la formation. « Il y a peu de femmes qui sont incluses dans les études », assure Stéphanie Clément-Guinaudeau. Et même lorsqu’elles en font partie, le sexe n’est pas utilisé comme variable. « On ne peut donc pas savoir si les pathologies sont les mêmes chez les femmes, et si les traitements ont les mêmes effets. »

Mais pourquoi ne pas inclure de femmes dans les études ? « Parce qu'elles peuvent tomber enceintes et que leurs cycles hormonaux sont variables, on considère que cela complique les choses… » Conséquemment, en tant que soignant, il est compliqué d’adapter sa pratique en se basant sur les études scientifiques.

Toutefois, « la médecine est une science humaine », souligne-t-elle. Et au-delà du manque de données, l'influence d'une société patriarcale persiste. Claire Mounier-Véhier, fondatrice d’Agir pour le Cœur des Femmes, maintient que la mauvaise prise en charge des maladies cardio-vasculaires est un « problème sociétal ». 

« Le fait que les symptômes et la parole des femmes ne soient pas entendus, minimisés, voire ridiculisés, c’est le cœur du problème. Pour changer les choses, apprendre à écouter ses patientes et légitimer leurs symptômes, c’est un très bon début », conclut Stéphanie Clément-Guinaudeuau.

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