Rencontre avec le (peut-être) futur DG de l'OMS

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Il est cardiologue, mais le public francais le connaît surtout comme politique. Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de la Santé, de la Culture ou encore des Affaires étrangères, est maintenant diplomate. Il passe le plus clair de son temps dans les couloirs des Nations Unies, et on lui prête l’ambition d’obtenir le poste situé au sommet de la hiérarchie sanitaire mondiale : celui de DG de l’OMS. What’s Up Doc l’a rencontré à Paris, dans les bureaux de l’Unesco.

Rencontre avec le (peut-être) futur DG de l'OMS

WUD Cela fait quelque temps que vous avez  disparu des radars médiatiques français.  Qu’est-ce que vous êtes devenu ?

PH.DB
Je suis secrétaire général adjoint des Nations Unies et je travaille maintenant exclusivement dans la lutte contre l’extrême pauvreté et la recherche de financements innovants dans la santé. C’est une activité qui me tient éloigné de la scène politique française depuis 10 ans, mais je pense n’avoir jamais fait autant de politique !

WUD Concrètement, en quoi consiste ce nouveau métier ?

PH.DB C’est une histoire qui remonte à 2006, lorsque nous avons créé Unitaid [une organisation internationale d’achat de médicaments pour les pays pauvres, ndlr] avec le président Chirac et le président Lula. Constatant d’une part que le fossé qui sépare les riches et les pauvres au niveau mondial pouvait déstabiliser le monde, et d’autre part que les citoyens des pays riches étaient de plus en plus réticents aux augmentations d’impôts, nous avons cherché de nouveaux moyens de financer ce que l’on nomme les biens publics mondiaux (eau, santé, nourriture, éducation et assainissement). L’idée était de créer des micro-contributions de solidarité sur les activités économiques qui bénéficient le plus de la mondialisation : aviation, transactions financières, industries extractives, Internet, etc.

WUD D’où la fameuse « taxe Chirac » sur les billets d’avion ?

PH.DB Oui, c’est par là que nous avons commencé. 12 pays se sont mis d’accord pour prélever 1 euro par billet d’avion. C’est peu, je le reconnais, mais cela nous a permis de prouver que ce genre de contribution est indolore à la fois pour l’État, pour les compagnies aériennes et pour les voyageurs. Et nous avons collecté près de 3 milliards de dollars en 7 ans et demi, qui ont été utilisés pour la lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme via des organismes tels que l’Unicef, l’OMS, la fondation Clinton, MSF…

WUD Et à part les billets d’avion, quelles autres activités peuvent ainsi financer les soins pour les plus pauvres ?

PH.DB Tout récemment, lors de l’assemblée générale des Nations Unies, j’ai convaincu 5 chefs d’État africains de donner une contribution sur leurs industries extractives : 10 centimes par baril de pétrole, par exemple. Cet argent sera utilisé pour la lutte contre la malnutrition. C’est l’avantage des financements innovants : on peut les allouer à des causes importantes, car ils sont prévisibles, pérennes et durables.

WUD Remontons maintenant dans le temps, et racontez-nous comment vous en êtes arrivé là. Comment êtes-vous tombé dans la médecine ?

PH.DB J’ai toujours eu envie de soigner, car j’ai toujours été marqué par les injustices. Il n’y a rien de plus injuste que la maladie. J’ai fait mes études de médecine, mon internat et mon clinicat à Toulouse, en cardiologie et en santé publique. Aujourd’hui je n’exerce plus, mais j’enseigne toujours la santé publique à Paris 7.

WUD Et comment passe-t-on de la médecine à la politique ?

PH.DB Un jour, en discutant avec un ami de mon père à propos du système de santé, je disais des choses comme « il faudrait faire ceci, il faudrait faire cela ». Il m’a rétorqué qu’il y a trop de gens qui disent « il n’y a qu’à ». Je lui ai dit que je n’étais pas énarque, que je ne pouvais pas me lancer en politique. Mais il m’avait mis devant mes responsabilités. Ma mère étant de Lourdes, je me suis présenté à la mairie en 1989, et contre toute attente, j’ai été élu. La même année, Simone Veil m’a proposé d’être sur sa liste aux élections européennes… et c’était parti.

WUD Et même bien parti… 4 ans plus tard, vous étiez déjà ministre de la Santé.  Quel souvenir gardez-vous de ce premier  passage avenue de Ségur ?

PH.DB C’était le moment où l’épidémie de Sida explosait. Je suis fier d’avoir été le ministre qui a créé 5 000 places de méthadone pour les héroïnomanes*, ce qui a permis de contrôler l’épidémie dans cette population.
WUD Et votre deuxième passage, en 2004-2005 ? PH.DB J’ai mené plusieurs réformes, et notamment celle du médecin traitant**. C’est une réforme qui a bien marché, et qui est très importante aujourd’hui qu’il faut sauver l’Assurance Maladie.

WUD Beaucoup de praticiens la considèrent pourtant comme un carcan administratif…

PH.DB D’après les sondages dont j’ai eu connaissance, c’est plutôt le contraire. C’est une réforme que nous avons faite avec et pour les médecins, et je pense qu’ils en sont satisfaits. Et surtout, elle est très utile aux patients, notamment les patients polypathologiques.

WUD 2004-2005, c’est aussi la date de lancement du Dossier médical personnel, devenu Dossier médical personnalisé il y a peu. Qu’est-ce que cela vous fait de voir que 10 ans après, la réforme n’a toujours pas abouti ?

PH.DB C’est une réforme que tout le monde veut, même s’il y a eu de nombreux freins. L’un d’entre eux était la défiance des médecins, qui craignaient notamment des intrusions de l’Assurance Maladie dans les données. L’enjeu, maintenant, c’est de créer un dossier qui soit réellement géré par le malade, et qui fasse gagner du temps au médecin.

WUD Vous êtes d’ailleurs impliqué dans Honestica, une société qui travaille aussi sur une forme de dossier médical. N’est-ce pas une manière de concurrencer le DMP de l’Assurance Maladie ?

PH.DB Je suis effectivement cofondateur d’Honestica avec Franck Le Ouay et Alexandre Hamburger, mais il ne s’agit pas d’un concurrent du DMP. Honestica a deux buts : à long terme, améliorer la médecine à travers une plateforme de données de santé ; à court terme, aider le médecin à mieux communiquer avec son milieu et à gagner en productivité. Sur le plan plus général, Honestica participera à la transformation de la médecine curative et individuelle en une médecine préventive et communautaire. Ce sera aussi un outil puissant pour l'épidémiologie et la pharmaco-épidémiologie en particulier : avec de véritables outils de big data en santé, le Médiator se serait vu comme le nez au milieu de la figure 5 ans avant que le scandale n’explose. Enfin, Honestica permettra au patient de s'approprier ses propres données de santé mais aussi d'être mieux soigné. Prenez l'exemple des patients qui voyagent : ils doivent pouvoir avoir leur dossier médical sur leur smartphone.

WUD Honestica travaille donc bien à une forme de dossier médical similaire à celle sur laquelle travaille actuellement l’Assurance Maladie ?

PH.DB C’est une compétition mondiale qui est en train de se jouer sur le big data en santé, avec des acteurs comme Apple et Google, pas avec l’Assurance Maladie. Honestica est une chance de plus donnée au DMP, et l’Assurance Maladie sera très heureuse de l’avoir si nous arrivons à nos fins. Si elle y arrive avec son propre système, tant mieux : il n’y a pas de concurrence, il y a celui qui va réussir et celui qui ne va pas réussir. Il ne faut d’ailleurs pas avoir une vision franco-française du dossier médical. En termes de big data, le cadre national est dépassé.

WUD Puisque vous parlez d’international, revenons à votre carrière : comment êtesvous devenu ministre des Affaires étrangères ? La diplomatie est maintenant votre métier, mais vous n’y aviez pas trop touché avant 2005, n’est-ce pas ?

PH.DB Depuis 2004, nous parlions avec le président Chirac de la nouvelle donne géopolitique et des inégalités grandissantes entre les riches et les pauvres. Nous étions convaincus que les pires conséquences de la pauvreté étaient celles relatives à la santé. C’est ainsi que j’ai été nommé au Quai d’Orsay, et que nous avons créé Unitaid.

WUD N’êtes-vous pas en train de reconstruire l’histoire a posteriori ?

PH.DB Non, je vous raconte comment les choses se sont passées. Ma nomination aux Affaires étrangères et la création d’Unitaid sont le fruit de longues conversations lorsque j'étais ministre des Affaires sociales et de la Santé. Je me souviens même d'une mission exploratoire faite en Afrique en octobre 2004 avec des fonctionnaires de l'Agence du médicament… Nous construisions déjà UNITAID.

WUD Et maintenant, on parle de vous pour  le poste de directeur général de l’OMS. Vous êtes candidat ?

PH.DB Plusieurs personnes ont effectivement pensé à moi pour ce poste si crucial dans le paysage de la santé mondiale. J'en suis très sincèrement touché. Les candidatures officielles doivent être déposées en avril. Il est donc trop tôt pour en parler.

BIOGRAPHIE
1976 •  Interne en cardiologie  et santé publique à Toulouse
1982 • Thèse en cardiologie
1988 •  Professeur de médecine à la faculté de Toulouse, en épidémiologie, économie de la santé et prévention
1989 •  Maire de Lourdes et député européen
1993 • Ministre de la Santé
1995 • Ministre de la Culture
2004 •  Ministre des Affaires sociales,  de la Santé et de la Famille
2005 • Ministre des Affaires étrangères
2006 • Président d’Unitaid
2008 •  Secrétaire général adjoint des Nations Unies

Source:

* Dans les années 1990, les centres initiant la méthadone avaient un nombre de places tr`es réduit (une centaine `a l’ouverture), et se sont ouverts progressivement. Pendant longtemps, il y a eu des listes d’attente.
** Entré en vigueur au 1er janvier 2006, le dispositif du médecin traitant donne `a un praticien unique, choisi par le patient, un r^ole de dispensation des soins primaires et d’orientation vers les soins de spécialité.

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