Rage dedans - Critique de « Deux Soeurs », de Mike Leigh

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Quelle est l'origine du mal qui ronge Pansy, mère prostrée à domicile, percluse par sa douleur mentale et physique, envahie par sa peur de toute contamination de l'extérieur, entre obsessionnalité et paranoïa ? Ses proches ont renoncé à la comprendre et à l'aider, se résignant à subir. A l'exception de sa soeur Chantal, à la fois son opposé et son complément...

Rage dedans - Critique de « Deux Soeurs », de Mike Leigh

Deux soeurs, un film de Mike Leigh.

© DR.

Mike Leigh réalise un film rugueux et sans concession, probablement à l'image de Pansy, sur l'incommunicabilité. Un des aspects passionnants étant que, face à la binarité des caractères étudiés, il nous invite constamment à réfléchir sur ce qui n'est pas montré, et qui ne peut être dit. 

Il y a des titres qui ne valent que par leur version originelle. Ainsi, aux Deux Soeurs passe-partout choisies par la production française, on préfèrera ces hard truths qui, en plus de faire écho aux Secrets and Lies qui ont fait la gloire de leur réalisateur, éclairent quand même grandement sur l'ambiance de l'oeuvre et le fond du propos. La vérité. Son aspect absolu, avec lequel on ne transige pas, et sur laquelle reposent tant de troubles de personnalité. Celle qui est à l'origine de toute morale, de toute règle, bouclier face à un monde que Pansy ne tolère plus, dont elle a désespérément besoin pour ne jamais se sentir surprise, attaquée, contaminée. Mais aussi celle qui tranche comme une lame de couteau, une arme dirigée vers autrui mais au final retournée contre soi, la solitude d'avoir raison rendant le bonheur, forcément soumis à la concession, inaccessible - pour peu qu'il fût souhaité. Qui blesse, forcément. Mais qui, également, garantit une cohésion interne, confère du sens à un monde qui en exprime de moins en moins. 

Un film mal aimable et perpétuellement stimulant

C'est peut-être cela qui rend ce film mal aimable perpétuellement stimulant, cette conscience diffuse que Pansy, si rétive à toute altérité, toute empathie, au-delà des raisons qu'elle aurait à être ainsi au monde - on les devine et elles nous seront expliquées assez aisément - , pourrait avoir raison, ou plutôt que ce qui est à comprendre est dans ce qui n'est pas montré. Le film se veut une chronique familiale et le fait qu'elle se centre à ce point sur Pansy est probablement plus le reflet de l'agressivité qu'elle exprime et de la violence qu'elle génère en nous et sur son entourage que la volonté de Mike Leigh de réaliser une étude de caractère. La logorrhée invivable de son anti-héroïne est alors peut-être un prétexte, un arbre cachant une forêt de souffrances tues, rendues discrètes par une constante nécessité d'adaptation. L'on pense à ces dialogues de femmes dans un salon de coiffure qui, sur le ton du badinage, laissent apparaître leurs fêlures, les humiliations constantes. Ou encore à l'une des filles de Chantal, qui n'osera jamais dire à quiconque, dans cette cellule familiale pourtant à l'opposé de celle de Pansy en termes d'ouverture, la façon dont sa patronne la rabaisse. Enfin, et surtout, à ce mari taiseux. Ces vérités impossibles à afficher, que seule Pansy exprime, comme un crachat à la face du monde, ne sont peut-être pas tues uniquement en réaction à sa rage aversive. Mais parce que si chacun commençait réellement à parler, à se parler, les flots de souffrance déversée seraient trop dévastateurs. 

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Le film distille ainsi une noirceur inhabituelle, à l'image de ce bouquet de fleurs qui, symbole d'un effort presque surhumain de rapprochement entre une mère et son fils, finira balancé à travers une fenêtre. La fin est cependant suffisamment ouverte pour ne pas renoncer à tout optimisme. 

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