
Fabrizio Gifuni et Romana Maggiora Vergano dans Prima la Vita de Francesca Comencini © DR
Francesca Comencini, fille de Luigi Comencini, cinéaste de l'enfance, immense réalisateur de L'Incompris et de Pinocchio, rend le plus beau des hommages à son père et à leur relation, dans un double mouvement de réappropriation intime et de partage au monde de son héritage.
Alors qu'il réalise Pinocchio, le cinéaste ne cesse d'interpeller la fillette d'une dizaine d'années pour qu'elle sorte du champ et lui laisse tourner sa scène. Désorientée, l'enfant panique, cherche à quelle place être. L'enfant, c'est sa fille. Et c'est comme si la cinéaste qu'elle est devenue avait décidé de les garder tous les deux, seulement elle et lui, dans le champ de son film à elle, sans autre personnage ou presque. Prima la Vita est ainsi la revisite de leur relation, mais aussi de l'histoire de Pinocchio, film fondateur donc, puisqu'il relate son douloureux passage à l'âge adulte, sur fond de paradis artificiels - le Pays des Jouets du conte est représenté par l'héroïnomanie - et de frayeurs d'enfance à apprivoiser - le fameux ventre de la baleine.
En montrant sans aménité comment Comencini, Geppetto exempt de malveillance mais rigide dans ses valeurs et volontiers autoritaire, aurait pu la conduire à n'être qu'une marionnette marchant dans ses pas, au risque de vivre dans son ombre, la réalisatrice évite le manichéisme et le panégyrique béat. Ce qui n'empêche pas le film d'être débordant d'amour dans le double portrait qu'il dresse, celui d'un homme qui a voué sa vie au cinéma jusqu'à l'héroïsme - comme le rappellent les images d'archives qui ponctuent le récit, issues des films qu'il a sauvés de la destruction - et celui d'une femme qui est née à cet art dans la douleur, y trouvant à la fois une émancipation et une communion avec ce père tant admiré.
Le film produit au final une curieuse impression, ses redondances et ses raccourcis nous donnant l’impression d’errer dans une boutique de souvenirs un peu en désordre, puis peu à peu l’idée centrale se resserre, la focale se recentre, et de cette intention qui pourrait paraître égoïste se dégage au contraire une générosité presque pure, en grande partie grâce au jeu de l’immense Fabrizio Gifuni. Cette plénitude croît non seulement au cours du film mais infuse à distance, comme une tisane bienfaitrice en ces temps si troublés.