Poplités on ice

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Ciné week-end: Moi, Tonya, de C. Gillepsie (sortie le 21 février 2018)

Poplités on ice

En 1994, la championne de patin à glace Tonya Harding est soupçonnée d'être derrière l'agression de sa rivale Nancy Kerrigan. A l'aube du règne de l'info en continu, une sombre histoire de rotules brisées et de bras cassés que ce film foutraquement énergique réussit à dépasser, pour se concentrer sur le destin à la fois banal et exceptionnel de Tonya, petite fille détestée de l'Amérique...

Moi, Tonya est un film qui a de l'énergie à revendre ! Tout comme son héroïne, mue dès l'enfance par une profonde colère vicieusement entretenue par une mère maltraitante et sans amour. Tonya Harding, le feu sur la glace, la jeune prodige exploitée pour son talent mais rejetée, avec une terrible constance, pour ce qu'elle est. Voilà la trajectoire de vie de cette écorchée vive qui ne pouvait que s'entourer, semble dire le film, de personnes intéressées et sans scrupule. 

Porté par une B.O électrisante, à la fois populaire et pointue, reflet d’une époque à la fois totalement moderne et déjà lointaine comme du caractère de cette anti-héroïne, le film est servi par une distribution au diapason. Si Allison Janney, dont le jeu outrancier n'atténue ni son talent ni la monstruosité de cette mère cannibale qu'elle interprète, a remporté tous les suffrages, c'est l'interprétation de Margot Robbie qui permet à Moi, Tonya de dépasser la chronique d'une époque, la description d'un simple fait divers sordide. Convaincante dans ses excès mais encore plus dans l'expression de sa fragilité grâce à une composition souvent sobre et plus nuancée qu'attendue, elle donne à ce rejeton de l'Amérique profonde une dimension plus complexe qu'il n'y paraît. Il faut la voir jongler avec toutes les facettes de son personnage, parfois torturée, parfois sans scrupule ni culpabilité, avec une aisance aussi déconcertante que celle d'une patineuse.

Le film est souvent hilarant, comme si ce qu'il décrivait était trop insoutenable dans une description au premier degré. Dès qu'il s'éloigne de son personnage principal pour s'intéresser à l'improbable odyssée des pieds nickelés qui précipiteront sa chute, il perd un peu de sa force. Ce qui compte au final, c'est de voir comment Tonya Harding est passée de la pionnière énergique du triple axel au personnage clownesque engoncé dans une image qui ne lui a jamais correspondu et enfermé dans ses contradictions.

Ne laissant jamais tomber son héroïne qu'il décrit comme utilisée et broyée par ses proches comme par tout un système, Craig Gillepsie rend plausible sa réhabilitation. Car, finalement, Tonya Harding est un peu la Jacqueline Sauvage du patinage : une mise en lumière crue et sans concession sur les conséquences parfois complexes, et d'autant plus tragiques, de la maltraitance quotidienne. A mille lieues de l'image rassurante d'une Nancy Kerrigan qui permet à la société de s'exonérer de toute remise en cause en s'appuyant sur de confortables certitudes, elle reste tout autant, et atrocement, une victime.

Source:

Guillaume de la Chapelle

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