« On passe notre vie à soigner, mais personne ne prend soin de nous » : Florence Boitrelle (Be&Believe) contre les violences à l’hôpital et ailleurs

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Florence Boitrelle est PU-PH andrologue spécialisée en PMA à l'AP-HP. C’est aussi la présidente de la commission éthique et déontologie à l’UVSQ et la déléguée aux violences pour toute la faculté. Elle a co-fondé Be&Believe, qui lutte contre les violences à tout âge.

« On passe notre vie à soigner, mais personne ne prend soin de nous » : Florence Boitrelle (Be&Believe) contre les violences à l’hôpital et ailleurs

What's up Doc : Pouvez-vous nous expliquer les missions de Be&Believe ?

Florence Boitrelle : On a tous vu, entendu, ou vécu des violences. Que ce soit du harcèlement moral, physique ou sexuel. Ça démarre parfois très tôt.

Notre but, en créant cette association, était de mieux en parler et montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls.

Nous avons catégorisé nos actions en 4 axes. Tout d’abord, pour les plus petits, à l'école,  nous sensibilisons au harcèlement scolaire : faire comprendre aux enfants ce qui est normal, et ce qui ne l’est pas. Il y a aussi un travail à faire avec les professeurs et les parents. Nous essayons également de faire le pont avec les associations sportives, parce que le harcèlement subi par les enfants, ce n’est pas qu’à l’école. 

Ensuite, il y a la partie université. La sensibilisation et l’écoute est primordiale pour les étudiants. C’est une période où les jeunes sont vulnérables, avec parfois une faible mixité dans certaines filières, de la précarité, ou encore une culture institutionnelle qui induit une tolérance implicite à des comportements sexistes.

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Le troisième axe concerne le monde du travail. Nous accompagnons les entreprises, les établissements et les collectivités pour prévenir les violences et le harcèlement au travail. Nous agissons à travers la formation des équipes, la sensibilisation collective, la réalisation d’audits et de diagnostics, et la mise en place de programmes de prévention adaptés. Notre mission : aider les organisations à construire un environnement de travail sain, sécurisé et respectueux. Les entreprises, les hôpitaux, les établissements ont un devoir de protection envers leurs salariés. Nous on leur apprend à les protéger efficacement.

Enfin le dernier axe est plus spécifique. On l’a appelé « Vivre pleinement sa vie ». Nous nous intéressons aux périodes à risque dans la vie d’une personne. C’est-à-dire la grossesse, la parentalité, un parcours PMA, un traitement hormonal, un suivi gynécologique ou urologique, une maladie chronique… des moments intimes où la parole est parfois difficile et la violence trop souvent banalisée.

Vous lancez une enquête au sein l’université où vous enseignez, dans quel but ?

F.B. : C'est une enquête anonyme qui concerne les 20 000 étudiants et les 2 000 professeurs de l’UVSQ. Les réponses nous permettrons d’avoir des chiffres qui constitueront une base de travail pour nous. Nous avons également mis en place une cellule de coordination centrale entre les différentes composantes de l’université. L’objectif est de permettre la remontée des signalements de violences au-delà des frontières de chaque faculté. Concrètement, cela veut dire que si vous êtes étudiant en sciences, mais que la situation concerne un enseignant de la faculté de droit, votre parole ne reste pas bloquée. Le but, c’est que les faits puissent être pris en compte, quel que soit le cadre dans lequel ils se produisent.

Toujours concernant les universités, on plaide pour qu’il y ait plus de lisibilité. Aujourd'hui, chaque université a un politique contre les violences qui lui est propre. Il faut un consensus.

Les médecins ne sont pas plus protégés. On passe notre vie à soigner, mais on ne prend jamais soin de nous, ou des étudiants en médecine. Nous faisons ce métier parce qu'on aime aider les autres mais il faut aussi parfois être un peu égoïste et s’aider entre soignants. En médecine, on s'est habitué à un climat de violences sexuelles et de harcèlement moral. Sous prétexte d'une vocation, on accepte beaucoup trop de choses, on banalise la violence. Si un soignant est victime d’harcèlement, on a un numéro contact disponible sur notre site. Ne restez pas dans le silence.

En tant que médecin, qu’est-ce que cet engagement a changé dans votre pratique ?

F.B. :Toutes les actions aussi petites, aussi banales soient-elles sont importantes. Si vous avez choisi médecine, comme beaucoup d'entre nous, pour sauver des vies, commencez par regarder autour de vous. Vous avez peut-être des collègues qui sont en souffrance, des patients aussi. Parfois, rien qu’une question : « comment ça va en ce moment ? », peut sauver une vie ou à minima aider la personne.

Pour l’instant, l’association reste assez locale. C’est une volonté ?

F.B. : Non, notre association a une vocation nationale. Même si pour le moment, on est surtout développé dans la faculté où j’enseigne. Mais, notre but c'est que ça marche et qu’après on puisse se développer dans toutes la France. D’ailleurs, je lance un appel. Si un de vos lecteurs a envie de porter ce projet dans sa ville, son université, son école, contactez-nous !

Il suffit de se former. La co-fondatrice et moi-même sommes formatrices en sensibilisation à la santé mentale, pour les violences, pour le harcèlement sexuel, pour les harcèlements d'une manière générale. Cette formation permettra de devenir ambassadeur.

Quels sont les projets à court terme ?

F.B. : J’ai deux livres en préparation, dont un que je vais le coécrire avec une psychiatre. Il portera sur le harcèlement, à l’école primaire. L’idée, c’est de proposer des solutions concrètes pour améliorer la façon dont l’école, les parents et les enfants peuvent interagir face à ces situations.

C’est vraiment mon projet prioritaire cette année. Parce qu’on le sait, le harcèlement commence parfois très tôt. Et malheureusement, il ne se passe pas grand-chose à ce stade. Le programme officiel, le programme Phare, est censé être mis en place dans les écoles primaires… mais dans la réalité, il est très peu appliqué. Donc, pour moi, c’est devenu un véritable engagement personnel.

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Pourquoi l’école primaire alors que je viens du monde médical ? Justement parce que personne n’a jamais vraiment pris le temps d’aller voir ce qui se passe concrètement dans les écoles. Il faut que les parents soient davantage soutenus, que les enseignants ne se sentent pas seuls face à ces problématiques. On ne peut pas demander à un professeur d’expliquer, tout seul, des notions aussi fondamentales que les violences, à des enfants de 9 ou 10 ans.

Et ce projet, il est né d’une rencontre. La directrice de l’école de ma fille est extrêmement investie sur ces questions. C’est d’ailleurs avec elle que nous allons écrire un livret pédagogique pour accompagner le livre. Elle fait partie de ces rares enseignantes, devenues directrices, qui sont réellement engagées sur le sujet.

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