Nuit de boue

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Ciné week-end : La Belle et la Meute, de K. Ben Hania (sortie le 18 octobre 2017)

Nuit de boue

Mariam, jeune étudiante à Tunis, participe avec les jeunes filles de son foyer à sa première fête, dans le sous-sol d'un hôtel. Des policiers profitent de son interpellation pour atteinte aux moeurs - elle flirtait avec un jeune homme sur la voie publique... - pour la violer. Mariam va découvrir que ce n'est là que le début de sa nuit en enfer...Un film âpre et bouleversant, terrible et nécessaire miroir de l'actualité - chargée - des violences faites aux femmes.

Il y a des films, et il y a des moments. Des moments pour les voir. Ils prennent corps, acquièrent une beauté terrible, grâce à ce qu'ils sont, peut-être aussi par ce qu'ils reflètent et par ce qu'ils renvoient. La Belle et la Meute est un grand film et n'a pas à se nourrir de l'actualité du moment pour se transcender. Mais c'est bien l'actualité et la réalité qu'il nourrit, agissant comme un révélateur implacable face à l'amas d'obstacles, de lâchetés, de turpitudes et de violences rencontré par toute victime voulant dénoncer le crime qu'elle a subi. 

Le récit du calvaire de Mariam est filmé par de superbes plans séquence traversés de fulgurants emballements, au plus près de son visage de martyre qui peu à peu se relève. Le fait que son interpellation et son viol ne soient pas filmés est crucial: par cet acte qui pourrait passer pour de la pudeur, le réalisateur nous annonce clairement que ce n'est pas ce traumatisme-là qu'il compte nous montrer, mais tous ceux qui s'en suivent. Ceux qui sont d'autant plus inacceptables.

Violée par des policiers dans un pays peinant à se libérer d'un diktat idéologique et religieux qui semble rester le seul ciment d'une population et d'un pouvoir désorientés par le printemps arabe, Mariam symbolise l'ensemble des victimes qui ont à faire face à l'incrédulité, au déni, à la gêne, à la peur, à une rigidité bureaucratique qui se fait l'allié involontaire du bourreau et le bras armé objectif d'une société qui se complaît à être verrouillée. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : cela se passe à Tunis, mais pourrait se dérouler dans le commissariat ou l'hôpital en face de chez nous. Serait-ce si différent ? Quel degré de nuances dans l'abjection apporterait à la souffrance de Mariam le polissage compatissant de notre société dite évoluée ? 

C'est face à cet abîme de questions que nous laisse La Belle et la Meute, avec en plus le spectacle émouvant et magnifique de l'éveil, chez cette jeune fille et à son pire moment, d'une conscience politique. La politique comme dernier rempart à l'inhumanité...

Source:

Guillaume de la Chapelle

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