© Escazal Films
Grâce à Romane Bohringer, une fulgurance a traversé l’espace cinématographique en cette fin d’année. Dites-lui que je l’aime est bien plus qu’une simple adaptation, qu’un simple documentaire : il est une ode à la survivance des morts dans le cœur des vivants, permise par ceux qui les ont aimés, passeurs d’une histoire arrachée à l’oubli et se matérialisant sous nos yeux. Aussi émouvant qu’impressionnant, ce film est notre Palme de la délicatesse.
Ce qui rend avant tout le docu pas du tout fictionnel de Romane Bohringer inestimable, c’est l’histoire qu’il recèle. Pas celle de Clémentine Autain et Dominique Laffin, constamment et pudiquement effleurée, comme si, par un aveu d’une élégance et d’une révérence infinies, elle ne se contentait pas de témoigner de son impossibilité de l’adapter, mais nous laissait la liberté de la découvrir par nous-mêmes, au travers de son livre. Cette histoire inestimable, celle que la réalisatrice ne va pas se contenter de raconter, ce qui aurait déjà été beaucoup, mais dont elle va restituer, par un cheminement admirablement retranscrit, la mise au jour, c’est celle de sa mère, Maggy.
Souvenirs d'enfant
Entre minces souvenirs personnels claustrés dans les recoins d’une mémoire d’enfant aux déchirures invisibles, et ceux, objectivables, conservés dans une boîte, comme dans les polars et les contes de fée, et qui la conduiront vers des témoignages lui offrant des perspectives encore plus vastes sur une trajectoire éphémère mais aux richesses insoupçonnées, Romane Bohringer nous offre le précieux cadeau de l’accompagner dans son retour aux sources, de franchir les étapes successives de l’empathie pour une semblable, de la curiosité face aux pans entr’ouverts de sa propre histoire familiale, de l’impérieuse nécessité d’en savoir plus, de la recherche, de la surprise et enfin - et surtout - de la réparation.
« C’est par le cadeau d’une fille à sa mère à qui il était impossible de l’être que cette année cinématographique se concluera »
Rarement enquête intime nous avait autant bouleversés. L’on pense au déjà fort beau Carré 35, d’Eric Caravaca, ou plus récemment au documentaire que Christine Angot consacra aux conséquences sur sa famille de l’inceste paternel qu’elle a subi et raconté. Il nous semble cependant que Romane Bohringer accède à un niveau supérieur tant c’est par sa construction-même et dans sa confiance infinie, et donc son amour, pour le cinéma qu’elle redonne vie au fantôme de cette femme qui, dès ses origines, se heurtait à un vide identitaire et, durant sa courte vie, était hantée par l’idée de ne pas exister.
C’est par le cadeau d’une fille à sa mère à qui il était impossible de l’être que cette année cinématographique se concluera. Celui de l’arracher aux limbes et au néant, de lui offrir une visibilité, une identité, une transmission aussi - comment ne pas penser aux Nuits fauves quand est évoquée la séropositivité de Maggy. Celui, enfin, de conjurer une malédiction et de devenir, dès lors, pleinement présente à elle-même.