Poursuivie par une Témoin de Jéhovah transfusée contre son gré, l'Espagne a été condamnée mardi 17 septembre par la Cour européenne des droits de l'homme. La CEDH a rappelé qu'en matière de santé la liberté de choix d'une personne doit primer, même lorsque sa vie est en jeu. La Cour a estimé à l'unanimité qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au respect de la vie privée et familiale, lu à la lumière de l'article 9 qui concerne la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Madrid devra verser à la requérante, Rosa Edelmira Pindo Mulla, Équatorienne de 53 ans, 12 000 euros pour dommage moral et 14 000 euros pour frais de justice. Celle-ci s'est dite "très heureuse que justice ait été rendue" et a espéré que cette décision "permettra de respecter les droits d'autres personnes à l'avenir".
Une décision qui aura des conséquences en France
Cet arrêt "va confirmer la pratique qui existe auprès de la plus grande partie des médecins en Europe mais ça va mettre fin à quelques exceptions qui sont pratiquées dans certains pays, dont la France", a déclaré l'un de ses avocats, Me Petr Muzny.
"La France restait un pays dans lequel on pouvait encore, dans certains cas, forcer un patient. Et là, c'est terminé. À partir du moment où un patient est capable de discernement, qu'il a dit spécifiquement ce qu'il voulait et ce qu'il ne voulait pas, un médecin devra respecter sa volonté"
Maitre Petr Muzny, avocat de la patiente espagnole.
Lors de l'audience en janvier, Me Muzny avait estimé que sa cliente avait été victime de "paternalisme médical", alors qu'elle avait "signalé à plusieurs reprises" vouloir "être soignée conformément à sa conscience". De son côté, l'avocate de l'Etat espagnol, Heide-Elena Nicolas Martinez, avait insisté sur le contexte de "grande urgence" dans lequel la décision de la transfuser avait été prise.
Transférée puis opérée en raison d’une hémorragie
En juillet 2017, au terme d'examens médicaux, il avait été conseillé à Mme Pindo Mulla de se faire opérer. Cette dernière avait alors fourni des documents où elle indiquait refuser toute transfusion sanguine, même si sa vie était en danger.
Le 6 juin 2018, Mme Pindo Mulla avait été admise à l'hôpital de la ville de Soria, avant d'être transférée le lendemain dans un hôpital madrilène en raison d'une hémorragie. Ayant appris qu'elle était Témoin de Jéhovah, les anesthésistes avaient sollicité l'avis du juge de permanence, lequel avait autorisé toute intervention médicale nécessaire pour lui sauver la vie. Mme Pindo Mulla avait alors subi une intervention chirurgicale et reçu des transfusions sanguines.
Après avoir épuisé les recours en Espagne contre cette décision, elle avait déposé en mars 2020 une requête devant la CEDH, qui statue sur les violations de la Convention européenne des droits de l'homme dans les 46 pays qui ont ratifié ce texte.
Droit à "l’autonomie"
Dans son arrêt, la Cour de Strasbourg explique avoir "pleinement conscience" que les actions des soignants étaient "motivées par le souci impérieux d'assurer à une patiente dont ils avaient la charge un traitement effectif" et "ne conteste pas que la vie de la requérante ait été sauvée ce jour-là".
Néanmoins, elle estime que le processus décisionnel ayant abouti à l'administration de transfusions "n'a pas assuré un respect suffisant de l'autonomie de la requérante (...), autonomie que celle-ci souhaitait exercer dans le but de se conformer à un enseignement important de sa religion".
Mouvement fondé dans les années 1870 aux Etats-Unis par Charles Russell, les Témoins de Jéhovah se considèrent comme les seuls à restituer un christianisme des origines. Ils sont régulièrement accusés de dérives sectaires pour leurs préceptes rigoristes, parmi lesquels le refus des transfusions sanguines.
Une problématique régulièrement débattue
Le droit de refuser un traitement médical, et en particulier de s'opposer aux transfusions sanguines pour des motifs religieux, avait été examiné par la CEDH dans d'autres affaires contre la Russie en 2010 et 2022.
La Cour avait alors souligné qu'un adulte capable de discernement était libre de prendre des décisions relativement à des opérations chirurgicales ou à des traitements médicaux, y compris les transfusions sanguines. Elle avait aussi déclaré qu'un État devait s'abstenir de commettre des ingérences dans la liberté de choix des personnes en matière de soins de santé.
Avec AFP