Il faut plus de médecins dans les CHU. Ah bon t’es sûr ?

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Par ces temps de désert médical, tous les CHU manquent de praticiens. Tous ? Pas tout à fait. Il en est au moins un qui résiste mieux que les autres à la pénurie ambiante : l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Retour en chiffres sur une spécificité bien française : l’hypercentralisation.

Il faut plus de médecins dans les CHU. Ah bon t’es sûr ?

Des financements supplémentaires, des lits en plus, et des ouvertures de postes. Tel est le refrain scandé depuis un an au sein du mouvement de contestation qui a envahi l’hôpital public. Mais cette triade de revendications s’applique différemment selon les professions et les types d’établissement que l’on considère. Si l’on s’intéresse à la répartition des postes de médecin en CHU, par exemple, on se rend rapidement compte que les régions françaises sont loin d’être toutes logées à la même enseigne.
 
Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la Statistique annuelle des établissements (SAE). D’après cette enquête annuelle qui constitue l’une des principales sources de données sur les établissements de santé, en 2018 les 28 CHU de France employaient 26 420 médecins en équivalent temps plein (ETP), dont 7 789 travaillaient à l’AP-HP. Soit un ratio de 29 %. En considérant que la zone couverte par l’AP-HP correspond à l’Île-de-France, ces 29 % de médecins sont au service de seulement 18 % de la population française. Remarquons toutefois que l’hypertrophie parisienne ne se retrouve pas si on limite l’analyse aux internes : à la rentrée 2019, l’AP-HP a accueilli 1 438 des 8 283 internes français (17 %). Pour le géographe Emmanuel Vigneron, professeur à l’université de Montpellier 3, la prépondérance francilienne n’a rien d’une surprise.

La productivité parisienne en berne

« Bien sûr que cette concentration est supérieure à ce à quoi on pourrait s’attendre, mais il faut tenir compte du poids de l’histoire et des inerties qu’il entraîne », commente-t-il. Et ce d’autant plus, ajoute ce spécialiste des déserts médicaux, que « le rayonnement de l’AP-HP va au-delà de la région Île-de-France », et que certains patients peuvent venir de très loin pour s’y faire soigner.  Reste que les disparités entre le CHU de la région capitale et les autres semblent aller au-delà ce que pourrait expliquer la dimension nationale, voire mondiale, de l’AP-HP.

C’est du moins le sentiment qui se dégage à la lecture d’un rapport de la Cour des comptes intitulé Le Rôle des CHU dans l’offre de soins, publié en novembre 2018. En se fondant sur des données de 2016, les magistrats de la rue Cambon y comparaient le nombre de séjours hospitaliers effectués dans chaque CHU avec le nombre d’ETP médecin que ces établissements employaient. Et les résultats étaient édifiants.
 
La moyenne des CHU français était en effet en 2016 de 180 séjours hospitaliers par an et par ETP médecin. Certains CHU très efficients, comme celui de Toulouse, arrivaient à monter jusqu’à 243 séjours par médecin. Mais à l’AP-HP, la moyenne n’était que de 130... soit 46 % de moins. Bien sûr, certains diront que les médecins parisiens sont davantage accaparés par leurs travaux de recherche que leurs confrères de la Ville rose,  ou encore qu’ils ont davantage de réunions dans les ministères et autres agences sanitaires... D’autres argueront qu’on manque de médecins partout, et qu’on en manque simplement moins à Paris qu’à Toulouse. Mais cet écart de productivité reste impressionnant.

Réactiver l'idéal républicain 

« Le problème n’est pas que les soins de haut niveau se concentrent à Paris, du moment que tout est fait pour qu’un habitant de Lozère ou des Hautes-Pyrénées puisse y accéder », commente Emmanuel Vigneron. Or le géographe a montré  au cours de ses travaux que ce n’était pas le cas.  « J’ai pu constater par exemple qu’en cas de cancer de la prostate, un habitant des villes avait plus de chances d’avoir une chirurgie mini- invasive, alors qu’un habitant des campagnes avait plus de chance d’avoir une chirurgie ouverte, et ce en raison des retards diagnostics », indique- t-il.
 
Emmanuel Vigneron en appelle donc à la réactivation d’une certaine « volonté républicaine pour que chacun puisse avoir accès au meilleur. » Reste à savoir comment. Car, comme l’a indiqué la Fédération hospitalière de France au mois de janvier dernier, plus de 30 % des postes de PH sont vacants au niveau national. Plus que l’ouverture de postes hors de Paris, il semble bien que la priorité soit l’amélioration de l’attractivité du métier de médecin en CHU, pour pourvoir au remplissage des postes déjà ouverts... et ce n’est pas une mince affaire.

 

Trois questions à Rémi Salomon
Nouveau président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP

Pour le Pr Rémi Salomon, le principal problème de l’AP-HP n’est pas une éventuelle surdotation en effectifs médicaux, mais un grave défaut d’attractivité.

What’s up Doc. L’AP-HP vous semble-t-elle surdotée ou sous-dotée en effectifs
médicaux ?

Rémi Salomon. Il est difficile de répondre à cette question en englobant les 39 hôpitaux de l’AP, et toutes les disciplines. La gériatrie, par exemple, est clairement sous-dotée. Dans l’hôpital où je travaille en revanche (Necker, NDLR), le nombre d’ETP médecin est probablement nettement au-dessus de la moyenne.

WUD. Vous paraît-il normal que d’après la Cour des comptes, l’AP-HP effectue
130 séjours par ETP médecin et par an quand le CHU de Toulouse en effectue 243 ?

RS. Pour avoir une interprétation honnête de ces comparaisons, il faut rappeler que beaucoup de services à l’AP ont une activité de recours. J’ajoute que notre région a une population précaire plus importante que d’autres, et ce sont des patients qui prennent plus de temps. Il faudrait aussi demander aux praticiens de Toulouse s’ils sont contents d’être aussi « productifs » : je ne pense pas que la productivité soit la raison d’être d’un hôpital.

WUD. Quel que soit son niveau de productivité, l’AP-HP peine à recruter. Pourquoi ?
RS. Nous avons un vrai problème d’attractivité. On invoque souvent pour l’expliquer le coût de la vie à Paris, mais je pense qu’il n’y a pas que cela. Il y a aussi un mode d’organisation des équipes qui doit être à mon avis considéré. Il faut qu’on se questionne sur nos conditions de travail, mais aussi sur notre conception des carrières à l’hôpital : celles-ci sont trop figées, pas assez variées... Je compte beaucoup sur les plus jeunes, qui doivent nous aider à bouger.

 

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