© Christine Tamalet
Pour son premier film en tant que réalisatrice, l'actrice Isabelle Carré semble s'être confrontée à l'impossibilité de mettre en oeuvre et en scène ses propres souvenirs.
Elisabeth. C'est le prénom de l'actrice qui débarque un peu par hasard dans cet atelier d'écriture qu'on ne la verra jamais réellement animer. Pourquoi pas Isabelle? C'est une alerte parmi d'autres, probablement pas la plus flagrante, mais en tout cas inaugurale, qui nous fait nous questionner sur le statut de cette oeuvre, et surtout sur le but de celle-ci, tant elle repose constamment sur un équilibre instable, faisant passer toute maladresse pour une erreur de débutante, là où la raison nous a semblé - déformation professionnelle oblige - probablement plus profonde. Est-ce une volonté autobiographique ou plutôt une ambition pédagogique voire militante - c'est en tout cas l'angle stratégique qui semble avoir été choisi pour "vendre" le film à grands renforts d'interventions médiatiques quasi-expertales - qui a animé la réalisatrice? C'est cette ambiguïté, que reflète la construction en deux époques que presque rien ne vient relier, qui semble présider à l'impasse dans laquelle s'engouffre le film.
Quand le récit sonne faux
Il n'est bien sûr pas question de banaliser la gravité du sujet - l'inflation galopante de la souffrance psychique et des situations psychiatriques aiguës chez les jeunes - ni de remettre en question les intentions louables de cette actrice que nous aimons tant et qui semblait avoir trouvé, par le biais de cette fiction, un moyen de transmettre autrement son humanité solaire et sa sensibilité altruiste. Pourtant, il nous semble qu'elle échoue à mettre en récit cette part d’enfance, fondatrice autant que traumatique, se perdant dans une configuration narrative naïve et d'un premier degré constant, que l'absence de recul expose à une superficialité d'anecdote. Etait-ce seulement possible pour elle? Presque tout, en tout cas, sonne faux. Les choix de narration et de réalisation, constamment illustratifs, sont aux antipodes de la hauteur de vue véhiculée. Pire, les ados "modernes" qui semblent au coeur de la préoccupation de la réalisatrice sont tout simplement invisibilisés, alors que ceux de jadis sont interprétés par des acteurs dont le professionnalisme, souvent trop visible, fait barrière à leur existence propre, les réduisant à n'être que vecteurs de leurs symptômes.
L’impasse de la représentation
Les rêveurs évoque un autre échec de la représentation de la pathologie mentale au cinéma, En attendant Bojangles, adaptation elle aussi d'une oeuvre littéraire à la dimension biographique. Ce que nous apprennent ces écueils est plus riche que ce qu'ils montrent, ou plutôt qu'ils échouent à montrer: la souffrance psychique demeure l'expérience la plus intime qui soit, et c'est paradoxalement la fiction pure, en tout cas un récit tenu par un autre que soi, qui permet d'en retranscrire le mieux la substance, ou tout simplement de la décrire en la racontant. Circulez, il y a à voir...ailleurs.