Déserts médicaux : Un recours devant le Conseil d’État

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Le 21 avril dernier, l’Association des citoyens contre les déserts médicaux a déposé un recours devant le conseil d’État. Son but ? Enjoindre le gouvernement à faire passer les lois nécessaires à la juste répartition de l’offre de soin sur le territoire.

Déserts médicaux : Un recours devant le Conseil d’État

Un recours, et un ras-le-bol. Le 21 avril dernier, l'Association des citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) a déposé une requête devant le Conseil d’État à l’encontre du gouvernement. Son objectif ? Contraindre les autorités à prendre des mesures fortes pour limiter les déserts médicaux qui nuisent à la santé de millions de Français sans médecin traitant sur le territoire. « Qu’un collectif s’engage en faveur de l’accès aux soins, c’est toujours intéressant », commente le président d’ISNAR-IMG, Morgan Caillault, qui émet pourtant de nombreuses réserves envers l’argumentaire de l’association.

C’est il y a trente ans que le Dr Laure Artru, rhumatologue, s’est installée dans la Sarthe. Parisienne de formation, elle assure avoir été témoin de l’aggravation de ce phénomène dans ce territoire sous doté. « Quand vous êtes à Paris, vous avez un médecin pour 700 patients. Dans la Sarthe, c’est un pour 3 000. Et depuis deux-trois ans, ma situation est devenue insupportable car j’ai énormément de patients qui n’ont plus de généraliste », confie celle qui s’est engagée auprès de l’ACCDM l’an dernier. Blouse de rhumatologue sur le dos, elle n’hésite d’ailleurs plus à enfiler régulièrement le stéthoscope de généraliste. « Ils ont besoin de quelqu’un qui renouvelle leurs ordonnances, confie-t-elle. Ils sont en désarroi psychologique car ils n’ont pas de référence médicale et qu’ils perdent de l’espérance de vie ». Sur vingt consultations quotidiennes, elle estime rencontrer chaque jour « quatre à cinq » patients qui seraient dans ce cas de figure. « Je me suis dit qu’il fallait arrêter de regarder les gens souffrir », révèle Laure Artru. Et Morgan Caillault, fervent défenseur de la diminution des tâches administratives et du rayonnement du numérique en santé, de tempérer : « Au-delà de la densité, c’est également de temps médical dont les médecins manquent ».

Une situation de déshérence que l’ACCMD estime « illégale ». « [Et] manifestement inconstitutionnelle », tempête-t-elle dans le recours transmis au Conseil d’État par leur avocate, l’ancienne ministre Corinne Lepage. « Tout le monde paye ses cotisations. Nous sommes tous égaux en droit devant la santé. C’est un drame humain quotidien », argumente Laure Artru, confiant donner peu de crédit aux réformes successives des gouvernements. « Il y a eu plein de choses, et rien ne bouge ». Et son association de détailler sa pensée dans un communiqué : « Les chiffres de la désertification médicale ne cessent de s’aggraver, malgré le discours rassurant des ARS sur l’efficacité à venir de l’augmentation du numerus clausus, de l’arrivée de médecins étrangers, du déploiement des infirmiers de pratique avancée, de la création de maisons de santé pluridisciplinaires... Aucune des lois Santé depuis 2009 n’a pris de mesures efficaces au plan national pour venir à bout de ce fléau ».

Une analyse tranchée nuancée par le Président de l’ISNAR-IMG, par ailleurs peu à l’aise avec le terme « inconstitutionnel ». « La santé est un droit, et non un devoir, argue-t-il. Et dans leur discours, ils oublient beaucoup de mesures qui commencent à porter leurs fruits ». Dans son viseur notamment ? La modification du contrat Contrat d'Engagement de Service Public en 2020 qui permet un meilleur accompagnement de la part des ARS, la mise en place du Contrat de Début d’Exercice « qui prévoit des avantages beaucoup plus intéressants pour les jeunes médecins », l’augmentation du numerus apertus qui pourrait favoriser l’attachement des jeunes médecins au territoire dans lequel ils ont été formés ou encore la réforme des études en médecine générale désormais « plus tournées vers la médecine de ville et de campagne » qu’hier. « Ces réformes sont assez récentes. Il ne faut pas tout jeter et évaluer correctement les dispositifs incitatifs », confie-t-il, même s’il dégage de nombreux axes d’amélioration. « Il n’y a pas de fléchage dans les zones sous-denses alors que nous sommes demandeurs de ça… », note-il notamment.

C’est après avoir tenté de bouger les lignes dans les rangs des professionnels de santé que Laure Artru a décidé de rediriger ses efforts vers l’État. « À deux reprises, j’ai interpellé le Président de CNOM qui m’a dit qu’il ne pouvait rien faire », se souvient celle qui a fait un passage dans les rangs de l’Ordre avant de rejoindre cette association citoyenne. « Si les médecins veulent travailler où ils le souhaitent, il faut qu’ils assurent eux-mêmes la protection des populations qui sont en défaut de soin. Ou alors on demande à l’État de le faire à notre place », assure Laure Artru. Une démarche proactive dans laquelle Morgan Caillault confie entrevoir une faille de taille :  « Pour les avoir contactés, ils ne se sont pas adressés aux bons interlocuteurs. L’Ordre des Médecins ne peut pas résoudre cela, car ce sont des médecins qui ont déjà des projets d’installation. Il faut aller voir les premiers concernés. À savoir les jeunes médecins qui vont aller dans ces territoires-là ». Et Laure Artru de confier : « J’aimerais bien discuter avec des jeunes médecins. Leur vie n’est pas facile. Ils sont exploités, harcelés, sous-payés. Je crois que ça participe à un certain détachement ». Dans le cas où le Conseil d’État attesterait de la recevabilité de leur requête, l’association espère que l’État « devra enfin organiser la juste répartition de l’offre de soins sur le territoire, en faisant voter les lois qui le permettront ».

Pour la rhumatologue, plusieurs mesures contraignantes pourraient être envisagées par le gouvernement pour venir à bout de ce problème de santé publique. « On pourrait mettre en place une obligation transitoire d’activité. Ainsi, un interne SASPAS qui vient travailler dans un endroit reculé pourrait y travailler deux ans, au lieu de six mois. Pareil pour les jeunes spécialistes », indique-t-elle. Une ordonnance à laquelle elle ajoute notamment la mise en place d’un conventionnement sélectif pour réguler l’installation des médecins généralistes en fonction des besoins d’un territoire. « La coercition est une solution, mais certainement celle qui va fonctionner le moins bien », assure Morgan Caillault, qui pointe du doigt le risque d'une fuite des cerveaux.

 

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