« Avec Smartbiotic, nous voulons lutter contre l’antibiorésistance, mieux prescrire et sauver des vies »

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Mathieu Raad est un jeune médecin anesth-réa, qui a choisi  de mettre son exercice entre parenthèses, le temps de lancer Smartbiotic, une appli qui ausculte l’écologie bactérienne en un lieu donné, dans un temps donné. Le but ? Lutter contre l’antbiorésistance en préconisant aux médecins, l’antibiotique précis et efficace à prescrire dans chaque situation. Il nous raconte.

« Avec Smartbiotic, nous voulons lutter contre l’antibiorésistance, mieux prescrire et sauver des vies »

« Tout commence en 2015, je prépare le concours de l’internat, je rencontre celle qui allait devenir ma femme. Et comme tous les deux on sait qu’on a envie de s’investir dans des activités pour des pays en voie de développement avec une écologie tropicale, on choisit le CHU Antilles-Guyane pour notre internat, elle en pédiatrie, moi en anesth-réa. Là-bas, quelle que soit la spécialité, on rencontre des pathologies tropicales comme nulle part ailleurs en métropole, toutes les maladies infectieuses, les parasites. Après le concours, avant de commencer nos stages, on part à Madagascar, pour une mission au CHU. Et après nos 4-5 mois de mission, on réalise qu’on ne peut pas partir comme ça. Il faut que l’activité continue, donc on crée une association médicale, qui fonctionne toujours aujourd’hui et qu’on fait vivre activement.

« En étant réanimateur je réalise qu’il y a un gros problème d’antibiotique, qu’on laisse mourir des gens »

C’est en étant sur le terrain à Madagascar, que je réalise qu’il y un gros problème d’antibiotique. En étant réanimateur, je me disais ce n’est pas possible, on laisse mourir les gens parce qu’on essaie les antibiotiques au hasard et que ça ne marche pas. Je remarque que pour des raisons historiques, ils utilisent les mêmes traitements antibiotiques qu’à Paris, les mêmes recommandations. Ce qui n’a pas de sens. C’est-à-dire qu’une angine on va la traiter de la même manière à Madagascar et à Paris, alors que ce ne sont pas les mêmes bactéries, ni les mêmes résistances. Et comme à Madagascar ils utilisent énormément d’antibiotiques, l’amoxicilline que tu vas utiliser pour traiter un enfant en France, et bien là-bas ce sera à 90% un échec. Ton patient ne va pas être traité, car les bactéries sont devenues à 90% résistantes. Je décide de passer ma thèse sur ce sujet en lien avec Madagascar, où justement on étudie 1 200 bactéries dans les hôpitaux sur place. L’idée c’est vraiment de savoir qu’est-ce qui vit à Madagascar pour avoir des traitements adaptés, pouvoir indiquer quel antibiotique utiliser. L’idée c’est que ça ne coute pas plus cher de prescrire le bon antibiotique, mais en revanche il faut être capable de dire, cette méningite, c’est la bactérie B, donc il faut mettre l’antibiotique B.
 

« Je fais ma thèse sur la classification des bactéries de Madagascar, et pour la diffuser, je décide de créer une start-up »

Je fais ma thèse sur ce sujet de la classification des bactéries de Madagascar, avec les autorités locales. Car les autorités locales doivent être logiquement décisionnaires des recommandations. Donc on a créé un guide qui donne toutes les recommandations, qui est la référence à Madagascar. Mais comme tous les rapports HAS qui paraissent et restent dans un tiroir, cette référence n’est pas assez utilisée, donc pour la diffuser je crée ma start-up. Et au même moment, on se dit on s’occupe de Madagascar, mais en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane aussi on applique les mêmes traitements antibio qu’à Paris, donc c’est exactement le même problème. Il y a des guides locaux qui sont faits dans des hôpitaux mais au fin fond de l’intranet, et nous nous voulons les rendre accessible. Les ultra-marins ne bénéficient pas des traitements adaptés à leur écologie locale. Donc je crée la start-up en Martinique, pour créer une application très simple pour que le médecin en trois clics, au lieu d’un long document imbuvable, trouve le bon antibiotique à donner.

« A Madagascar l’appli sera lancée à la fin du mois et gratuite pour tous les médecins »

A Madagascar l’appli sera lancée à la fin du mois et gratuite pour tous les médecins. Je l’ai financée moi-même. C’est l’aboutissement de ma thèse, faire quelque chose de concret et d’engagé, et qui sert à tout le monde. Même là-bas, 4ème pays le plus pauvre du monde, les médecins ont tous des smartphones, peut-être pas dernière génération, mais du coup l’application n’est pas non plus trop lourde avec une carte graphique dingue. Le grand sujet de l’application c’est : diffuser l’information pour mieux traiter. On a toutes les infos et en les rendant accessibles, les médecins prescrivent mieux et soignent mieux leurs patients, sans que ça coûte plus cher. Donc là, on l’a fait en lien avec les autorités locales mais pro bono, maintenant, il faut qu’on trouve un système plus pérenne.

« Notre modèle économique passe par les économies des états ou des assurances, sur les traitements lourds, grâce au bon traitement antibiotique »

Le but c’est de péréniser le format humanitaire avec la start-up. Dans un système étatique comme la France, ou le Canada où je suis en ce moment, où c’est la Sécu qui paye les soins, à termes ça fait économiser de l’argent. Avec un antibiotique au hasard, il y a une infection derrière, il faut hospitaliser, il faut opérer… Même si ces complications sont rares, ça coute extrêmement cher. Donc dire à un état : "Regarde c’est rentable d’équiper les médecins avec cette application parce que derrière en termes de complication et d’hospitalisation, il y a des économies. Vous allez mieux traiter la population et ça va couter moins cher."

Et sur le marché américain c’est différent. Aux USA il y a des groupements par assureur, donc l’assureur, assure disons 100 000 personnes sur un territoire, il sait que pour une infection, il va devoir payer des soins. Le but c’est de dire à l’assureur, pour votre réseau de cliniques et tous vos médecins, on met le système en place, comme ça tous les médecins peuvent prescrire mieux, et vos patients vont vous couter moins cher, parce qu’ils vont être moins hospitalisés, parce qu’ils vont être moins opérés. Et quand on connait le prix de la santé aux USA, parler cash, c’est réactif.

« On fait le pont entre des données épidémio étatiques indigestes et la pratique concrète du médecin »

Pour nous développer partout, on doit travailler avec les CHU pour être connectés aux données de l’hôpital. Il y a une base de données nationale sur l’état de la résistance aux antibiotiques région par région. Tout ça est trouvable pour tout le monde en deux clics sur internet. Sauf que les rapports sont illisibles, pas du tout ergonomiques. Donc le médecin, au quotidien, n’a pas le temps de lire toutes les recommandations, il ne se met pas à jour, mais il a encore moins le temps d’aller surfer sur le site d’épidémiologie au fin fond d’un site web. Mais avec un outil qui lui donne en continu l’écologie qui est autour de lui, là ça devient intéressant. Et j’insiste sur le fait que ce ne sont pas des données patient, mais des données épidémio, il n’y a rien de confidentiel. En fait on crée le pont entre des rapports et des données étatiques indigestes et la pratique concrète du médecin.

« La résistance aux antibiotiques est en train de devenir la première cause de mortalité, il faut changer ça »

Ce que nous créons, c’est le stéthoscope de l’écologie bactérienne, un outil pour pouvoir en temps réel ausculter autour de soi quelles sont les bactéries qui vivent, et du coup, quel est le meilleur traitement antibiotique à donner. On implémente de l’IA qui va regarder pour chaque patient quel est le meilleur traitement sur mesure. Pour améliorer la granulosité des recommandations, l’idée à terme c’est au lieu de faire une reco dans laquelle on essaie de faire rentrer le patient, on inverse le paradigme, et on écrit une reco sur mesure pour chaque patient. Prescrire le bon antibiotique, à la durée minimale et à la posologie nécessaire. Aujourd’hui ce n’est pas logique qu’une patiente de 40 kg et l'autre de 120 kg, prennent le même traitement pour une infection. Alors en théorie, il faut calculer et adapter, mais ce n’est appliqué par aucun médecin dans la vraie vie. La résistance aux antibiotiques est en train de devenir la première cause de mortalité mondiale. En tant que réanimateur en France, j’ai eu des patients en réa pour lesquels on n’avait plus de traitement. Ce n’est pas le futur, c’est aujourd’hui. On regarde des gens mourir, bouffés par une bactérie, sans traitement à leur donner. Il faut changer ça. »

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