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« Je n’oublierai jamais ce jour-là. J’étais déjà médecin depuis vingt ans. C’était dans les années 2000, en fin d’après-midi, des voisins de la patiente m’ont appelée, comme régulièrement, car elle faisait souvent du bruit en rentrant de son hospitalisation de jour de psychiatrie.
J’y vais, je monte, la patiente était dans sa cuisine où je n’étais jamais entrée.
En y découvrant une montagne de médicaments, prescrits mais pas pris, j’ai alors ressenti une montée de colère contre le personnel de psychiatrie qui venait la chercher tous les jours et qui n’avait jamais vérifié la prise de ses médicaments. La colère est mauvaise conseillère. J’ai attrapé un sac en plastique, et j’y ai mis les médicaments en lui disant que j’allais montrer au psychiatre qu’elle ne prenait pas son traitement.
Elle a chopé un couteau à viande, m’a attrapée et menacée. J’avais le couteau sous la gorge. Elle m’a amenée dans son séjour, m’a assise sur son canapé avec elle. Je n’osais pas bouger. Elle me tournait autour, avec son couteau, elle me le pointait dessus.
« La gendarmerie m'a dit que c'est moi, qui n'avais pas su gérer »
Les voisins ne m’ont pas vue ressortir, ils ont appelé les pompiers et la gendarmerie. Lorsqu’ils sont arrivés, cela a augmenté sa colère….
Après, je dirais, deux heures de menace, elle m’a laissée partir. J’ai dévalé les escaliers, en bas il y avait un pompier qui m’a serrée dans ses bras et m’a bercée.
Ensuite la gendarmerie est venue me voir en me disant : "Docteure, si vous avez été dans cette situation, c’est que vous n’avez pas su gérer". Le pompier, lui, m’a défendue.
L’équipe de psychiatrie qui suivait la dame m’a appelée trois ou quatre jours après, et la seule proposition qui m’ait été faite a été de suivre un séminaire de gestion de situations difficiles. Mes relations avec les services psychiatriques ont été un peu compliquées par la suite.
« J'ai appris à dépasser ces violences avec une association de femmes médecins »
J’ai vécu d’autres crises violentes dans ma carrière : un jour j’ai été appelée lors d’un mariage où un homme tirait à la carabine depuis le toit d’une caravane alors que les gendarmes n’étaient pas encore là, une autre fois j’ai dû intervenir sur une dispute de couple où l’homme tirait sur sa femme et moi. On avait dû se cacher derrière le canapé et attendre que ça passe et que la gendarmerie arrive.
Je faisais partie d’une association de femmes médecins de formation continue et on s’épaulait mutuellement. On dépassait assez rapidement ces violences, par la force du groupe. Nous n’étions pas très nombreuses mais très soudées. Une consœur, plus âgée, en avait aussi vu des vertes et des pas mûres. On ne se démontait pas, on se démerdait, on avait acquis des réflexes de survie importants.
« J’ai toujours pensé qu’en étant médecin on ne pouvait pas me faire de mal »
Par la suite, j’ai continué mon activité de la même manière, mais j’étais plus vigilante avec les patients de psychiatrie sur leur suivi et leur surveillance.
Je n’avais pas le choix : si j’avais commencé à me poser des questions, je n’aurais pas pu continuer. Je n’ai jamais regardé derrière moi, j’ai toujours pensé qu’en étant médecin on ne pouvait pas me faire de mal, que ce titre et cette fonction me protégeaient, je n’ai jamais cessé d’y croire. »