Psychiatre, chargé de mission à l'international chez Clinea-Orpea

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Patrick Lemoine est aussi un écrivain et un ancien chef de service hospitalier.
Il nous livre ses premières et dernières fois les plus marquantes.

Psychiatre, chargé de mission à l'international chez Clinea-Orpea

Quelle est la

PREMIERE FOIS OU... 

…tu as eu l’idée de devenir psychiatre ? 

Tout petit déjà ! Mon père nous emmenait régulièrement dîner chez un ami qui possédait un gigantesque aquarium – 15 mètres de long ! – qui me fascinait. Or cet ami dirigeait un établissement psychiatrique. Je me suis dit que pour posséder un tel aquarium, la seule solution était d’être psychiatre… Plus sérieusement, je considère ma vocation comme un chemin déjà tracé, dans les pas de mon père, et jalonné de jolis clins d’oeil du hasard ou du destin tels que celui-ci. 

… tu as examiné un patient ? 

Premier jour de rempla' en médecine gé' durant ma première année d’internat, bref très peu formé. Une mère débarque avec son enfant couvert de boutons. Un peu perdu, je commence à inspecter longuement l’épiderme de ce jeune patient pour masquer mon angoisse. La mère finit par m’interrompre : « Vous savez, c’est juste une rougeole ». 

… tu as eu raison contre ton chef ? 

J’étais FFI en psy de liaison. Le patron des Urgences me demande de voir une femme présentant une douleur abdo dont l’examen et le bilan étaient revenus normaux, avec l’idée que c’était forcément « psy ». Me trouvant devant une femme en parfaite santé psychique, j’ai repris le dossier et me suis rendu compte qu’elle sortait de chez son généraliste qui lui avait prescrit une bonne dose de Valium pour la calmer. J’ai dit à mon chef que dans quelques heures, suite à la dissipation de l’effet myorelaxant, une défense réapparaîtrait sûrement. Ce qui s’est produit… 

ET LA DERNIERE FOIS OU... 

… tu n’as pas su faire 

Ce matin ! Je recevais pour la énième fois un jeune patient qui met à mal le cadre de fonctionnement de la clinique où je continue de consulter. Sa souffrance me touche et j’ai tout fait pour l’aider mais je me heurte au mur de sa psychopathie. 

… tu as été touché par une situation ? 

Je garderai toujours le souvenir de cette jeune femme déprimée et pourtant solaire, que mon équipe et moi-même avons vue progressivement décliner sur le plan cognitif. Elle avait un Alzheimer précoce et il n’y avait rien à faire… Plus que mon impuissance à l’aider, c’est la gentillesse de cette femme et de son mari qui, malgré la situation, illuminait le service, qui m’a marqué. 

… tu as eu envie d’arrêter ? 

J’ai parfois eu honte de la psychiatrie au point que j’ai songé à changer de spé. Je me souviens d’une vieille dame en placement d’office depuis l’avant-guerre… de 14 ! Elle était un peu régressée mais n’avait pour antécédent qu’une BDA. Je m’émeus de la situation et lui propose de lever la mesure afin de trouver un établissement où elle pourrait avoir une fin de vie paisible et décente. Elle me répond que je suis un beau salaud ! « Je suis guérie depuis 50 ans mais personne n’a jamais levé mon placement parce que je faisais très bien le ménage et la cuisine. Et maintenant que je ne rends plus service, vous voulez me foutre dehors ! » Cet esclavage institutionnel, que je connaissais et dénonçais déjà, m’a semblé particulièrement intolérable ce jour-là… 

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