Pandémie ou démocratie : faut-il choisir ?

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Début février, Emmanuel Hirsch, professeur émérite d’éthique médicale, sortait le livre « Une démocratie confinée, l’éthique : quoi qu’il en coûte ». Pratiques médicales dans un contexte dégradé, gouvernance confinée… En 327 pages, il nous offre une réflexion sur les failles démocratiques observées à l’heure de la Covid-19.

Pandémie ou démocratie : faut-il choisir ?

« Une pandémie touche au cœur notre vie démocratique ». C’est par ces mots que notre entretien avec le professeur en éthique médicale, Emmanuel Hirsch, débute. Après dix mois à chroniquer chaque étape de la crise sanitaire, le Président du Conseil pour l'éthique de la recherche et l'intégrité scientifique de l'université Paris-Saclay (Poléthis) a sorti un livre au nom évocateur, « Une démocratie confinée, l’éthique : quoi qu’il en coûte » (érès). « Au travers de mon expérience du SIDA et du H1N1, j’ai pensé qu’il était important d’éclairer les choix futurs d’observation mais aussi d’analyse », explique-t-il pour justifier sa démarche.
 
Cette réflexion est d’autant plus précieuse en cette période troublée qui a vu les libertés démocratiques reculer. Selon une étude publiée par l’institut britannique The Economist début février, les restrictions imposées pour faire face à la crise sanitaire auraient provoqué une défaillance démocratique dans 70 % des pays du globe. Reléguée au rang des « démocraties défaillantes », la France ne fait pas figure d’exception.
 
« En France, le problème est la gouvernance confinée »
 
Des faiblesses qui se sont observées d’abord au niveau des puissants. « En France, le problème est la gouvernance confinée », assure Emmanuel Hirsch. « Le gouvernement a basé sa politique sur des injonctions et des préconisations administratives. Elle s’est souvent justifiée par des enjeux économiques plus que par la vie même de la société », poursuit le professeur. Cela, bien que la population se soit montrée « à la hauteur des enjeux », selon lui. « Les Français se sont découverts plus démocrates que nous n’aurions pu le penser. Ils ont fait preuve de conscience et de responsabilité », plaide Emmanuel Hirsch.
 
Des « prescriptions verticales » qui ont peiné et peinent toujours à fédérer. « La « bataille du masque » n’aurait pas eu lieu si la défiance n’était pas telle à l’égard des choix politiques défaillants dans la justesse d’une communication attentive aux aspirations d’une société méritant mieux, en termes de responsabilisation, que des admonestations », écrit-il dans son livre. Et de nous préciser : « On ne parle pas d’associer la population au processus décisionnel, mais simplement qu’elle puisse y adhérer ».
 
Ce n’est pourtant pas la première fois que la France traverse une crise d’ampleur. H1N1, SIDA… De ces précédents événements, des enseignements promouvant la responsabilisation de la société avaient été tirés. « Ce qui est stupéfiant, c’est que le gouvernement a fait comme-ci tout cela n’existait pas », commente Emmanuel Hirsch. Souvent la cible de critique, le Conseil scientifique lui-même promouvait cette culture de la responsabilisation dès le 14 avril dernier.
 

"[Nos dirigeants] se sont arrogés le pouvoir d’une gouvernance pour situation de crise, excluant toute autre compétence que celle des scientifiques désignés »

 
Toujours est-il que les experts, eux-mêmes, n’ont pas toujours eu voix au chapitre. Une posture qui interpelle un peu plus sur la démocratie sanitaire mise en place pendant la crise de la Covid. Servant souvent d’argument d’autorité pour imposer des mesures impopulaires, les experts du monde scientifique ont parfois été ignorés. « Paradoxe bien révélateur de l’instrumentalisation de l’expertise scientifique à des fins de gouvernance : sur RTL le 10 septembre le président du Conseil scientifique estimait nécessaire d’affirmer qu’un deuxième confinement « n’[était] pas exclu en cas de situation critique ». Une sortie qui s’est rapidement vu retoquer par le Président de la République. « Chacun doit rester à sa place, c’est aux dirigeants démocratiquement élus de prendre des décisions », aurait répondu Emmanuel Macron.
 
Sans oublier que de nombreuses spécialités ont été écartées du processus décisionnel. « L’exigence de démocratie dans l’instruction du processus décisionnel n’aura pas constitué la préoccupation de nos dirigeants. Ils se sont arrogés le pouvoir d’une gouvernance pour situation de crise, excluant a priori toute autre compétence que celle des scientifiques désignés pour les conseiller », martèle-t-il dans son livre. Depuis, un anthropologue, un sociologue ou encore un vétérinaire sont venus grossir les rangs du Conseil. « On observe un ajustement », assure Emmanuel Hirsch.
 
« Les praticiens hospitaliers expliquent qu’ils ont vécu un moment de redistribution des légitimités. »
 
L’expertise de terrain a cependant eu l’opportunité de briller entre les quatre murs des hôpitaux. Si les praticiens hospitaliers ont dû batailler avec des injonctives gouvernementales, leur organisation s’est vu bousculer par l’urgence. À défaut de pouvoir s’appuyer sur les instances administratives – notamment sur les Conseils de démocratie sanitaire des ARS restés longtemps silencieux, les praticiens hospitaliers ont répondu à la crise par la solidarité et la créativité. « Les praticiens hospitaliers expliquent qu’ils ont vécu un moment de redistribution des légitimités. Ensemble, ils ont tout fait pour sauver des vies humaines », rapporte le professeur. Au premier déconfinement pourtant, l’administration reprenait ses droits. « Et les retours d’expérience par rapport à tous ce qu’ils avaient vécu n’ont pas eu lieu », souligne le professeur.
 
Un panel d’expérience qui dit beaucoup de notre société. « Que ce soit dans ses fragilités et dans ses forces, une pandémie est révélatrice de ce qu’est l’état d’une société à un moment donné ».
 

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