Les ECN sont morts, vive les EDN !

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En juin prochain, les externes de 6e année seront les derniers à passer les ECN sous leur forme actuelle. Dès le mois d’octobre, la promo suivante inaugurera une nouvelle modalité d’accès à l’internat : les EDN, qui suscitent autant d’espoirs que de craintes.

Les ECN sont morts, vive les EDN !

Au sein de la profession médicale, il existe une forme de rite initiatique qui opère une transformation quasi magique : on y entre carabin, on en ressort interne. Longtemps, ce cérémonial s’est appelé « concours de l’internat », puis il a pris en 2004 le nom assez peu poétique d’« Épreuves classantes nationales » (ECN), nom auquel est venu en 2016 s’accoler un petit « i » pour signifier son informatisation. Ce moment crucial de la vie d’un médecin s’apprête à subir une nouvelle mutation : dès la rentrée 2023, il ne faudra en effet plus dire « ECNi », mais « EDN », pour « Épreuves dématérialisées nationales ». Reste à connaître les raisons d’un tel changement, et à en évaluer les conséquences pour les étudiants.

« C’est une réforme que nous avons souhaitée, car le modèle actuel des ECN a beaucoup de défauts, notamment parce qu’il ne sélectionne pas les étudiants de façon très juste, explique Yaël Thomas, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). On peut se retrouver avec des classements extrêmement serrés qui décident de l’avenir professionnel de quelqu'un en fonction d’une réponse à un seul item d’un seul QCM [Questionnaire à choix multiples, NDLR]. On peut par ailleurs questionner la valeur pédagogique des QCM : ils peuvent évaluer qui est capable de recracher des éléments par cœur, mais peuvent-ils évaluer qui sera un bon médecin ou pas ? »

Ces critiques ont, de tout temps, été adressées aux modalités de sélection des internes, et les autorités avaient déjà en partie tenté d’y répondre en introduisant progressivement de nouvelles épreuves dans les ECN. On peut notamment citer les fameux DP (dossier progressif) ou LCA (lecture critique d’article) qui ont fait les délices de générations de candidats… Mais rien n’y fait. Les ECN avaient besoin d’un sérieux coup de jeune, et la réforme du 2e cycle des études médicales est censée y pourvoir en agissant sur 3 aspects de l’antique concours de l’internat : la diminution de la masse du programme à ingurgiter, l’introduction d’une évaluation des compétences des candidats en plus de l’évaluation de leurs connaissances, et l’appréciation du parcours qui les a menés jusqu’à la fatidique 6e année de médecine.

3 domaines d’évaluation… et 13 classements !

« Au fil des années, il y a peut-être eu une certaine dérive des collèges, qui ont eu tendance à considérer qu’il fallait enseigner l’entièreté de leur discipline au cours du 2e cycle, note le Pr Benoît Veber, doyen de la fac de médecine de Rouen, vice-président de la Conférence des doyens et pilote de la réforme du 2e cycle. Nous avons donc diminué de 20 % l’ensemble du volume de connaissances à acquérir, et il faudra peut-être que l’on fasse un deuxième tour avec les différents collèges pour voir ce qui peut encore être élagué. » Mais ce prof d’anesth-réa reconnaît également que « le programme reste dense », car « il faut qu’on forme les médecins dont la France a besoin ».

Allégée, donc, mais pas trop, la nouvelle évaluation des connaissances des prétendants à l’internat aura lieu dès le début de la 6e année, au mois d’octobre, et pèsera 60 % de leur note finale. Ce qui laisse de la place pour d’autres épreuves, jusqu’alors inconnues des carabins. C’est ainsi que les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos), destinés à évaluer les compétences des candidats, compteront pour 30 % du score total. Ceux-ci se dérouleront en fin de 6e année, en juin, et visent à évaluer les compétences des externes. « La sixième année sera beaucoup plus professionnalisante, les étudiants seront à temps plein à l’hôpital, et ils seront évalués sur 2 jours via des jeux de rôles sur 10 "stations" », détaille Benoît Veber. En clair, 10 mises en situation face à des acteurs jouant le rôle de patients, qui doivent être autant de « biopsies dans les compétences des candidats », ajoute le doyen. Enfin, les 10 % restants de la note finale seront attribués sur dossier, par l’examen du parcours des candidats. « Via une grille standardisée, des points seront attribués à ceux qui auront fait des UE [Unités d’enseignement, ndlr] supplémentaires, des langues étrangères, un double cursus médecine-sciences, des stages à l’étranger, etc. », énumère Benoît Veber.

Mais pour corser l’affaire, le passage des ECN aux EDN ne se résume pas à la complexification des modalités d’évaluation. Les EDN sonnent en effet le glas du grand classement national unifié de tous les futurs internes de France et de Navarre : ces derniers seront en effet désormais référencés dans 13 classements distincts. « Nous avons regroupé les disciplines en 13 blocs : 2 pour les disciplines chirurgicales, 1 pour la médecine de l’aigu, 1 pour la biologie, etc., annonce Benoît Veber. Dans l’évaluation des connaissances, il y aura deux types d’items : les items de rang A, exigibles quelle que soit la discipline, et les items de rang B, plus pointus, exigibles dans un groupe de spécialités donné en tout début d’internat. Dans les classements des disciplines chirurgicales, par exemple, les items de rang B correspondant à ces spécialités seront plus fortement pondérés, ce qui permettra à un étudiant qui a particulièrement travaillé ces domaines d’être plus facilement classé en rang utile dans la discipline de son choix. »

Impréparation ?

Voilà pour la théorie. Mais dans la pratique, les étudiants dénoncent la manière dont la réforme est mise en œuvre. « Au départ, la réduction de la taille du programme devait être de 30 %, et on n’y est pas », estime Yaël Thomas. Même le chiffre de 20 % avancé par Benoît Veber lui semble discutable. « On en est toujours à devoir apprendre des items de neurochirurgie qui ne seront utiles que si on veut être neurochirurgien », regrette-t-il. Mais surtout, les carabins déplorent une démarche qui comporte selon eux un trop fort degré d’improvisation. « Il y a un manque d’anticipation de la part des facs, et à 9 mois des EDN, il manque encore des points-clés qui mettent les étudiants dans des situations compliquées, dénonce Yaël Thomas. Les arrêtés ne sont pas encore sortis, l’algorithme de matching n’est pas encore développé, le contenu de la 6e année n’est pas encore défini… »

Mais pour le représentant des étudiants, le point le plus dur reste l’organisation des Ecos. Face à la complexité de la tâche, la conférence des doyens demande en effet la simplification de cette évaluation, en faisant passer le nombre d’examinateurs de 2 à 1, ou au moins en acceptant qu’ils ne viennent pas forcément d’une fac différente de celle des candidats. Une modification qui, selon l’Anemf, pourrait rendre la procédure inéquitable. « C’est un examen qui va déterminer la vie entière des candidats, on ne peut pas se permettre le moindre biais », attaque Yaël Thomas. Et celui-ci ajoute qu’au-delà des considérations techniques, l’incertitude est un facteur de stress non négligeable pour les candidats. « Quand on avance à vue, quand les règles changent en cours de route, quand il reste tant de questions non résolues si près des épreuves, il est certain que cela rend les choses encore plus compliquées, déplore Yaël Thomas. Je ne suis pas sûr que les doyens se rendent compte de la pression que nous avons sur les épaules. »

Climat angoissant

Il est vrai que quand on interroge les externes, l’impression qui domine est celle d’un brouillard total dans lequel il est difficile de se faire une idée de la sauce à laquelle on va être mangé. « J’ai l’impression que personne n’a d’information, que ce soit nos représentants, la scolarité, les doyens, remarque par exemple Julie Recchi, actuellement externe en 5e année à Nancy et donc concernée au premier chef par la réforme. Nous avons beaucoup de questions, et la seule chose qu’on nous répond, c’est "Ce n’est pas encore sorti", ou "Ce n’est pas encore acté". » La jeune femme, qui dit n’être « pas une grande stressée de nature », avoue qu’elle trouve le climat « angoissant ». Elle se console en se disant que tous les concurrents sont « dans le même bateau ». « C’est la première fois pour tout le monde, on sera l’année crash-test, mais j’essaie de ne pas me miner la santé avec ça », philosophe-t-elle.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/diaporama/classement-des-chu-et-des-spes-2023-il-y-de-quoi-rire

Du côté des doyens, d’ailleurs, on tient à rassurer les candidats. « C’est une réforme que les étudiants ont réclamée, on l’a lancée, et il faut la faire, rappelle Benoît Veber. C’est vrai que les EDN aboutissent à un classement et que cela engage leurs choix, mais il faut qu’ils nous fassent un peu confiance. Notre but n’est bien entendu pas de les envoyer dans le mur, et il faut prendre conscience du fait que cette promotion bénéficie systématiquement d’arbitrages plutôt positifs. » Cette parole apaisante saura-t-elle calmer l’inquiétude des carabins ? Tous ceux qui sont passés par les affres du concours vous diront que rien n’est moins sûr.

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