La sexualité des médecins : entre fantasmes et réalités inexplorées

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Les mœurs changent, la parole se libère : de la sexualité positive aux problématiques des minorités LGBT+, du consentement aux violences sexuelles... La sexualité se dévoile, mais qu'en est-il de celle des médecins ? 

La sexualité des médecins : entre fantasmes et réalités inexplorées

 

DU FOLKLORE AU MYTHE

Fresques d’internat obscènes, rapport au corps dénué de pudeur, orgies dans les chambres de garde… Les histoires, mais aussi les légendes sont partout !

En cause : un entre-soi traditionnel découlant de la spécificité du métier et des études ? Les séries médicales érotisant le sexe à l’hôpital ? La prétendue débauche des étudiants en médecine ?

Dans les faits, le rapport que les médecins entretiennent avec leur sexualité est flou. Les médecins ont-ils véritablement une sexualité débordante ? Et en dehors des clichés, comment appréhendent-ils leur santé sexuelle ?

VOYAGE EN TERRE INCONNUE

Sans vraiment de surprise, les données sont manquantes : aucune étude n’a été réalisée sur la sexualité des médecins. Mais la question se pose toujours : qui prend soin des soignants et comment leur proposer un suivi adapté ?

En 2017, la campagne « Dis Doc, t’as ton doc ? »1 promeut l’amélioration du suivi des médecins qui sont près de 80 % à ne pas déclarer de médecin traitant, préférant l’automédication, l’autodiagnostic ou l’appui ponctuel de confrères. De nombreuses thèses défendent la spécificité et surtout la nécessité de la prise en soin des médecins, mais aucune ne mentionne la santé sexuelle. 

Pourtant exposés au travers de leur métier aux corps et à l’intimité de ceux qu’ils soignent, les médecins peuvent être touchés par des violences subies par les patients : l’impact émotionnel et le risque de transfert pourraient affecter le désir, renforcer des traumas...

Médecins et futurs médecins évoluent dans un milieu hiérarchique souvent pesant et stressant, dont les torts et dérives tels le harcèlement ne sont plus à démontrer. Les violences sexistes et sexuelles sont omniprésentes dans le milieu médical2 et ne sont pas sans répercussions sur la santé sexuelle et affective des médecins.
 

Témoignage : être médecin et gay

« On pourrait penser qu’être gay apporte un regard spécifique sur la médecine et l’homosexualité mais je n’en suis pas si sûr. Grandir gay, c’est vivre dès l’enfance les expériences communes ou répandues chez les hommes gays. C’est se confronter à des situations qui déterminent le rapport au corps, au sexe, aux maladies liées au sexe, mais aussi le rapport au secret : ce que l’on peut montrer ou non. Je suis persuadé qu’il y a, plus qu’une "ouverture d’esprit", une "sensibilité gay". Même si, bien sûr, il ne faut pas en déduire qu’ils sont tous du même bord politique ou milieu social. Les expériences de chacun restent hétérogènes, mais on trouve des fils conducteurs communs : le coming-out, l’omniprésence du VIH… Un homme qui a des rapports sexuels avec d’autres hommes se construit avec ou à l’encontre de certaines définitions et identités. Cela amène des questionnements mais pas de réponse commune. 

Plus qu’un regard différent sur la médecine, je pense qu’être gay favorise l’attention portée à certaines questions médicales et/ou éthiques. Pour ce qui est de la vie sexuelle, de nombreux gays connaissent très bien les pratiques et les codes de la communauté, mais certains en sont très éloignés. 

De façon générale, je pense que les centres de santé communautaires, qui ont prouvé leur importance et utilité, doivent être développés et soutenus et que l’enseignement doit prendre en compte les spécificités de santé des gays et lesbiennes, incluant une dimension sociale importante. » 

Propos d'un médecin anonyme recueillis par Kendrys Legenty

*du média Derrière la blouse 
Références 
1. Campagne « Dis Doc, t’as ton doc ? » 
2. « Hey doc, les études médicales sont-elles vraiment sexistes ? » ISNI 2017 

Mais alors, quels interlocuteurs trouver quand on doit parler d’un sujet si intime ? Beaucoup ont des difficultés à initier un suivi concernant la sexualité, mais celles-ci peuvent être accrues pour les médecins qui évitent les consultations avec leurs collègues. Cette question se croise avec la protection du secret médical : le risque de rencontrer un collègue dans un CeGGID existe toujours !

Il faudrait donc briser les tabous, mais aussi adopter une stratégie plus globale pour agir de façon spécifique chez les médecins. L’exposition aux différents facteurs de risques psychosociaux, inhérents à la médecine ou au contexte de travail et d’étude, peuvent mener à des conduites à risque ou un mal-être. En élaborant des études fiables et informatives sur la santé sexuelle des professionnels de santé, alors, seulement, nous lèverons le voile sur la sexualité des médecins et agirons pour notre santé. 

Emylie Lentzner et Valentine Sorin

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