La médecine personnalisée sera notre tombeau

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Coupler analyse du génome et informations médicales : telle est la promesse de la médecine personnalisée. Mais derrière les beaux discours se cache une mutation radicale, à laquelle peu d’entre nous semblent préparés.

La médecine personnalisée sera notre tombeau

Les promoteurs de la médecine personnalisée annoncent le passage du prêt-à-porter au sur-mesure ! Beau slogan, derrière lequel les médecins patinent gravement. Car en croisant les caractéristiques génétiques des patients avec leur dossier médical, la médecine personnalisée associe deux mondes qui ne vont pas à la même vitesse.

Quelques ordres de grandeur pour s’en convaincre. Dans le génome de chacun de nos patients (et donc le nôtre…), il existe 2 millions de mutations par rapport au génome de référence, ce gold standard appelé hRef38. On connaît déjà 200 millions de single nucleotide polymorphisms (SNPs), qui sont les positions de notre ADN pouvant faire l’objet d’une variation potentiellement responsable d’effets cliniques. Autour de 2020, on devrait dépasser le milliard de SNPs répertoriés.

Déni de réalité

Il existe un discours médical très répandu, qui préfère insister sur les limites de la génomique. Ce n’est qu’une dérisoire protection contre la réalité : nous sommes en fait totalement incapables de traiter ces montagnes de données. Comme la connaissance génomique est encore fragmentaire, cela n’a aujourd’hui que peu de conséquences pour nos patients. Mais progressivement, notre ignorance pourrait diminuer leurs chances.  Et la société ne l’acceptera plus.

Le praticien, désarmé face aux milliers de milliards d’informations que la médecine personnalisée va produire, devra passer la main à la Silicon Valley et, au delà, aux Gafami (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et IBM). Nous pourrions alors assister à une violente mutation du pouvoir médical. Les médecins signeront des ordonnances qu’ils n’auront pas conçues, ce qui signifiera la mort de notre métier, du moins tel que nous le connaissons.

Le médecin est l’infirmière de demain

Nous serons subordonnés à l’algorithme, comme l’infirmière l’est aujourd’hui au médecin. Cette redistribution des cartes a quelque chose d’inattendu. Qui aurait imaginé, il y a dix ans, que Microsoft viserait à éradiquer le cancer d’ici 2026, que Google voudrait euthanasier la mort, et que Facebook entendrait supprimer toutes les maladies humaines d’ici 2099 ?

Puisque nous allons échouer à piloter cette révolution, les leaders de l’économie numérique en deviendront les maîtres. La médecine personnalisée sera le tombeau de notre profession : il est immoral de la freiner et nous sommes incapables de la maîtriser. L’intelligence artificielle des Gafami le peut.

Source:

*Chirurgien urologue et énarque, le Dr Laurent Alexandre dirige DNA Vision, entreprise belge
spécialisée dans la génétique. Au fil de ses ouvrages et de ses interventions médiatiques, il analyse le futur de la médecine sous tous les angles.

Twitter : @dr_l_alexandre • laurent.alexandre@dnavision.be

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