Témoignage posthume : Lisa Steen, du médecin au patient

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Une généraliste dans la tourmente du parcours patient

Témoignage posthume : Lisa Steen, du médecin au patient

Fin août, un papier un peu particulier paraissait sur le blog du British Medical Journal (BMJ). Lisa Steen, généraliste anglaise décédée d’un cancer, y décrivait de manière posthume son expérience de patiente. Ou le récit d’un médecin passé de l’autre côté du miroir.

 

« J’ai passé deux ans à errer dans le désert du "médicalement inexpliqué". » C’est ainsi que commence le récit de Lisa Steen. Atteinte d’un cancer du rein détecté tardivement, cette généraliste d’à peine plus de 40 ans raconte dans les colonnes du BMJ son expérience face à l’absence de diagnostic. Un voyage de deux ans, qui s’est terminé par le décès de la narratrice. Fin août, son mari a décidé de communiquer son témoignage au prestigieux magazine britannique. 

Du doute à l’incompréhension, l’ancienne psychiatre reconvertie dans la médecine générale relate tout son parcours de patiente. On apprend ainsi qu’en août 2012 sont apparus les signes avant-coureurs de ce qui allait suivre : des troubles visuels et des étourdissements. Mise sous antidépresseurs, la jeune femme se retrouve confrontée à de nouveaux symptômes aussitôt mis sur le compte des effets secondaires. « Mais cela aurait tout à fait pu être des symptômes de la maladie », se souvient-t-elle. 

Ta parole contre la mienne

Alors que son métier l’avait habituée à dialoguer d’égal à égal avec le corps médical, Lisa Steen se voit démunie lorsqu’elle passe de l’autre côté du miroir. En tant que praticienne et en tant que patiente, elle refuse de croire à l’hypochondrie diagnostiquée par les spécialistes qui la suivent. Elle va pourtant faire confiance pendant presque deux ans à ses confrères, alors qu’elle a la conviction que le mal vient d’ailleurs. 

Ce sentiment d’incompréhension ira d'ailleurs en grandissant. Elle relate une visite chez le cardiologue en 2013, qui lui fera prendre conscience que sa parole n’est plus celle d’un médecin mais bel et bien celle d’un patient. « Le cardiologue était un homme gentil, mais après avoir exclu tout soucis cardiaque […], il commença à envisager le diagnostic initial d’hypochondrie », écrit-elle. « J’avais l’impression d’être un poisson rouge. Ma bouche faisait des mouvements mais aucun son n’arrivait aux oreilles du médecin ».

« J’avais trouvé une masse assez large au niveau de mon flanc droit »

En février 2014, Lisa Steen avoue avoir accepté cet état de fait. De nouveau en poste après plusieurs arrêts de travail dus à ses symptômes, elle décrit l’enchaînement des visites avec toujours ce même sentiment de parler dans le vide. Alors qu'elle se résigne à laisser le choix du traitement à ces praticiens qui la suivent, une importante perte de poids et des engourdissements dans les articulations alertent son médecin du travail, qui lui conseille d’aller consulter un gastro-entérologue et un neurologue.

Lisa Steen avoue que ce même jour, en rentrant chez elle, elle s’ausculte. Le résultat lui apparaît clairement. « J’avais trouvé une masse assez large au niveau de mon flanc droit », raconte-t-elle. Rendez-vous avec le généraliste qui ne sent d’abord rien, puis avec le cardiologue qui soupçonne une splénomégalie et demande une échographie de routine. Celle-ci révèlera un kyste de dix centimètres de diamètre au niveau du rein gauche. « Le résultat n’avait rien de réjouissant […]. C’était un carcinome à cellules rénales », explique Lisa Steen. Le cancer, déjà métastatique, la tuera quelques mois plus tard en février 2015.

« Je leur avait presque donné la réponse », conclut-elle en parlant de tous les praticiens qu’elle a croisés durant son parcours. « J’ai répété, encore et encore, que j’avais cette conviction d’un syndrome génétique lié à la carotide, quelque chose en lien avec ça, mais personne n’a accepté d’entendre cette hypothèse d’une simple patiente ». 

Une simple patiente dont le corps médical n’a, selon Lisa Steen, pas pris en compte les compétences médicales. Les dernières lignes de ce récit d’outre-tombe ne sont pas tendres avec la profession : « les médecins n’aiment pas qu’on leur dise quoi faire, et si vous essayez subtilement, ils ne le remarquent pas ». 

Source:

Johana Hallmann

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