
© Midjourney x What's up doc
Téléphone à la main, doudoune beige sur les épaules, Saliah attend son tour chez le gynécologue.
Victime de « harcèlement psychologique » de la part de son mari pendant 38 ans, la cinquantenaire n'avait « pas trouvé d'aide auprès de l'Etat » après « avoir trouvé le courage de parler », lâche-t-elle à voix basse, les sourcils froncés.
« Ce lieu où les femmes sont écoutées est un pas en avant », ajoute-telle, regard brun pétillant sous sa frange blonde.
Entre 2021 et 2022, en l'espace de six mois, deux féminicides ont été recensés à Aubervilliers. Des assises sur les violences conjugales ont alors été lancées par la maire de la ville, Karine Franclet.
Les réflexions ont abouti à la création d'un lieu réunissant gynécologues, médecins, psychologue, conseillères conjugale et familiale afin « d’apporter une réponse aux femmes sur le territoire », explique Mickael Niro-Voillot, directeur adjoint de la santé du pôle.
Un lieu chaleureux pour « traiter plusieurs problématiques au même endroit »
Des couleurs chaudes, de la documentation: un aménagement pensé pour mettre à l'aise, « qui change des hôpitaux ou des commissariats », sourit Aldia, 51 ans, écharpe fleurie autour du cou, assise sur l'un des fauteuils ocre de la salle d'attente du pôle.
Ici, les suivis gynécologiques, de grossesse, l'IVG médicamenteuse et bientôt chirurgicale et même la gynécologie transgenre, sont à deux pas des psychologues et des conseillères familiales permettant de « traiter plusieurs problématiques au même endroit », souligne Aldia.
« C'est un lieu important, pour nous les femmes », glisse-t-elle en souriant.
La consultation de santé sexuelle révèle « beaucoup de violences, intrafamiliales et faites aux femmes », détaille Mickaël Niro-Voillot.
A chaque consultation médicale, les patientes sont interrogées sur leur environnement familial et conjugal.
Et au fil des consultations où « on tient a vraiment prendre le temps avec les patientes », souligne le directeur adjoint, les femmes victimes de violences s'ouvrent peu à peu. « L'une de nos patientes a fini par dénoncer les viols de son mari », se rappelle M. Niro-Voillot.
Sans devoir de nouveau « franchir le pas », en se rendant ailleurs, les victimes peuvent consulter sur place un psychologue en victimologie et une conseillère conjugale et familial, dont « 70% des consultations sont des cas de violences », selon le directeur adjoint.
« On a une patientèle sur laquelle la problématique des violences ressort beaucoup, comme partout, sauf qu'ici les féminicides ont accéléré le processus » de prise en charge, explique Marina Madelmont, 33 ans, conseillère familiale et conjugale.
Financé par l'ARS, le département et la mairie, les équipes s'assurent ensuite que les femmes obtiennent des réponses à leur question.
Déjà en lien avec des associations et le tribunal d'instance, à présent « nous essayons de faire venir la police ici pour prendre les plaintes des victimes », indique le directeur-adjoint.
Le pôle marque une « avancée incroyable »
« Rien n'est acquis, ne jamais baisser la garde », peut-on lire en lettres bleues dans le hall d'accueil du centre. La devise de la gynécologue Joëlle Brunerie-Fauffmann, dont l'établissement porte le nom.
Exerçant dans les années 1970 à Aubervilliers, cette gynécologue, aujourd'hui retraitée, y a pratiqué des avortements clandestins et s'est « vraiment bagarrée », dit-elle, pour le droit des femmes à l'avortement.
L'avortement possible uniquement à l'étranger, « coûtait trop cher pour la population précaire d'Aubervilliers », raconte-t-elle. Alors clandestinement, la gynécologue réalisait des avortements, à domicile ou dans sa salle de consultation du dispensaire municipal de la ville.
Aujourd'hui, pour elle, le pôle marque un « progrès », une « avancée incroyable ». « On n'aurait pas pu ouvrir un tel centre à l'époque. Si ouvert et accessible, avec notamment de la gynécologie transgenre, c'est formidable ! », se félicite-t-elle.
L'accès à l'IVG dans le centre réjouit cette figure du combat pour l'avortement, « car même si on a vraiment gagné » lorsque la France a inscrit ce droit dans la Constitution le 8 mars 2024, « on n'est jamais à l'abri d'un retour en arrière comme le font certains pays », dit-elle.
Avec AFP
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