La lutte contre la fraude va sauver la Sécu. Ah bon, t'es sûr ?

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Épingler les tricheurs pour pouvoir continuer à assurer le paiement des soins pour les assurés et les soignants qui respectent les règles : telle est l’une des pistes suivies avec constance par les gouvernements depuis des années. Mais que peut-on réellement en attendre ?

La lutte contre la fraude va sauver la Sécu. Ah bon, t'es sûr ?

© DR.

Chaque automne, le sujet revient avec autant de ponctualité que les feuilles de marronnier sur les trottoirs ou que le Beaujolais nouveau chez les cavistes : les déclarations ministérielles ciblant la fraude à l’Assurance Maladie. Le millésime 2025 ne fait pas exception, l'ex ministre du Travail et de la Santé Catherine Vautrin ayant dévoilé début août dans la presse les grandes lignes d’un plan de lutte contre la fraude sociale, attendu dans les mois à venir. Objectif affiché : combler le trou de la Sécu. 

Le seul hic, c’est que les caisses sont loin d’avoir attendu les dernières annonces pour agir contre les patients et les professionnels indélicats. On voit donc mal ce qu’il y a de réellement nouveau sous le soleil de l’assainissement des comptes publics.

Au printemps dernier déjà, l’Assurance Maladie annonçait fièrement avoir stoppé en 2024 un montant total record de 628 millions d’euros de fraudes, ce qui représentait une hausse de près de 35 % par rapport à l’année précédente. 

Des chiffres qu’il convient de relativiser : rappelons que cette même année, le régime général avait versé 234,6 milliards d’euros de prestations. Pour avoir un impact significatif sur les 13,8 milliards d’euros de déficit prévus pour l’année 2024 pour la branche maladie (on ne parle pas de les combler), ce n’est pas une progression de 35 % qu’il faudrait, c’est une multiplication par 2, 3, voire 4.

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Une goutte d’eau dans l’océan

C’est avec ces ordres de grandeur en tête que l’on peut se tourner vers le terrain pour voir comment la lutte contre la fraude est menée dans les caisses, loin des cabinets ministériels. 

Dans la Somme, par exemple, la directrice de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), Marie-Gabrielle Dubreuil, indique que sur un effectif de 450 salariés, « une bonne dizaine de collaborateurs se consacrent uniquement à la lutte contre la fraude, et ce sans compter les juristes et les statisticiens qui ont un rôle extrêmement stratégique à cet égard ». De fait, ajoute-t-elle, « la lutte contre la fraude est un réflexe professionnel pour l’ensemble de nos métiers, et tout le monde y contribue ».

Bien sûr, complète Séverine Veillard, directrice comptable et financière de cette même Caisse, des efforts supplémentaires sont possibles. « On sait bien qu’on n’arrive pas à repérer toutes les fraudes, d’autant que les fraudeurs utilisent des modes opératoires de plus en plus sophistiqués, affirme-t-elle. C’est pourquoi nous ne cessons d’augmenter les moyens que nous y consacrons, pour lutter autant que possible à armes égales. » 

Parmi les actions que les deux responsables envisagent pour améliorer leur réponse à la fraude, elles citent une « professionnalisation des équipes » via « une formation de plus en plus poussée », mais aussi « le travail en réseau, au niveau régional et national », ainsi que la mutualisation des bases de données ou encore l’intelligence artificielle.

Changer de regard sur la fraude

Ces efforts sont indispensables, et nul ne songe sérieusement à les remettre en question, ce qui n’empêche pas de se demander si la logique générale qui préside à la lutte contre la fraude est la bonne. « Aujourd'hui, une partie de ce qu’on appelle "fraude", par exemple pour les médecins, c’est une déviation statistique par rapport aux normes de soins qu’ils devraient pratiquer », souligne Franck Bien, économiste à Paris-Dauphine, spécialiste de l’économie de la santé et de l’économie de l’assurance. 

De fait, c’est bien en détectant les anomalies dans les bases de données que les statisticiens des CPAM identifient une grande partie de leurs cibles. Or, ajoute l’économiste, la norme à laquelle ils se réfèrent pour cette « fraude » est avant tout politique, et elle n’a rien d’un absolu.

C’est ce qui conduit le Dr Yohan Saynac, vice-président du syndicat MG France, à être particulièrement vigilant sur ce qu’on appelle fraude. Celui-ci note ainsi qu’on a « tendance à se focaliser sur l’augmentation des arrêts de travail, un phénomène qui ne s’explique pas forcément par un manque de loyauté puisqu’il est notamment dû à la crise post-Covid, à la hausse des maladies mentales, à la dégradation des conditions de travail… ». 

Moralité : « Tout le monde est d’accord pour lutter contre la fraude, faisons-le, mais ne laissons pas penser que c’est ce qui va redresser la trajectoire des dépenses de santé », cingle-t-il. Pas sûr que cette vision des choses soit partagée du côté de Bercy.

La fraude, une préoccupation constante

C’est par un entretien au Parisien paru au cœur de l’été que la Ministre du Travail et de la Santé a décidé de sonner l’ouverture de la chasse aux fraudeurs. Le 2 août, elle annonçait pour l’automne un projet de loi de lutte contre la fraude sociale, contribution au plan d’économies de 43,8 milliards d’euros du Premier ministre François Bayrou. Au menu des mesures dans le secteur de la santé : géolocaliser les transports sanitaires, mais aussi « mettre fin aux arrêts de travail non justifiés », par exemple.

Une déclaration d’intention qui ne doit pas faire oublier que la fraude est une préoccupation constante des autorités sanitaires depuis des années. Un bref coup d’œil aux rapports « Charges et Produits » publiés chaque année par l’Assurance Maladie pour présenter la manière dont elle entend optimiser ses dépenses suffit pour s’en convaincre : ce thème occupe une vingtaine de pages dans l’édition 2025, soit à peu près le même volume qu’en 2024, 2023, ou encore 2022…

De même, le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 comportait toute une partie sur la lutte contre la fraude (notamment via la carte Vitale sécurisée), tout comme le précédent qui, pour l’année 2024, entendait couper les aides aux soignants épinglés), ou encore celui pour 2023 (qui orientait l’effort sur la détection des fraudes). Ainsi, Catherine Vautrin n’aura probablement pas à chercher bien loin l’inspiration qui guidera son projet de loi : il lui suffira de piocher chez ses prédécesseurs.

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