Entre chants et colère, les soignants défilent pour la Saint-Valentin

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Pour dire leur amour de l'hôpital public, les hospitaliers de toute la France s’étaient donné rendez-vous, ce vendredi 14 février.  Reportage.

Entre chants et colère, les soignants défilent pour la Saint-Valentin

Cœurs rouges et blouses blanches. Sous le ciel nuageux de Paris, les soignant.e.s ont manifesté en ce jour de la Saint-Valentin, pour dire leur amour du service public hospitalier. À Paris, le cortège est parti peu après 14h de l'hôpital Necker, avant de se diriger vers la Pitié-Salpêtrière. 
 
Des médecins de Bourgogne à ceux du Kremlin-Bicêtre, en passant par les urgentistes où les étudiant.e.s, tous viennent avec le même constat. « On demande à l'hôpital d’être rentable au détriment des patients », raconte Marie, externe de 21 ans. Elle qui souhaite s’orienter vers la pédiatrie, ne sait pas encore si elle va faire sa carrière à l'hôpital public ou en libéral. « Quand j’entends les conditions de travail des internes, puis des médecins, ça me fait très peur. J’ai l’impression que partout ça craque ».
 
Au milieu des sirènes et des chants, des ballons en forme de cœur sont distribués.  Isabelle, 65 ans, fait partie des médecins démissionnaires du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Pour alerter sur la situation de l'hôpital public, des centaines de médecins à travers la France ont démissionné de leurs fonctions administratives, au début du mois. L’air résigné, ce médecin de la douleur raconte la surcharge de travail, le manque de considération de la direction et son incompréhension face à la situation actuelle.
 

« Le problème c’est que mon boulot, moi je l’aime, mais aujourd’hui on ne me donne plus les moyens de soigner mes patient.e.s. Peu à peu, on casse notre outil de travail ». Au bloc, les infirmières manquent. Aux urgences, les médecins ne sont plus assez nombreux. Et « nos anesthésistes sont tous des intérimaires parce que plus personne ne veut travailler dans ces conditions ».
 
Même constat en Bourgogne. « On fonctionne aussi beaucoup avec des intérimaires, explique Arnaud, 55 ans, gastro-entérologue. Mais la situation de l'hôpital n'est pas de leur responsabilité. Eux, ce sont plutôt des aides, des pansements à une casse qui dure depuis plus de vingt ans. » Lui aussi dit y avoir réfléchi à devenir intérimaire. Un meilleur salaire, moins d'heures de travail…
 
« Mais alors l'hôpital ne tournerait plus, conclue-t-il. Il faut des titulaires. Et pour ça, on a besoin d'un vrai plan de sauvegarde de l'hôpital public ». « On ne veut pas la charité, ajoute Hubert, 46 ans, chirurgien du côté de Vienne. On veut juste pouvoir travailler ». Un peu plus loin des médecins se baladent avec des cotons-tiges de plus de deux mètres de haut. « C’est pour Agnès Buzyn, vu qu’elle ne nous entend pas, on s’est dit que ça pourrait lui servir », lâche un urgentiste, le sourire aux lèvres. 
 
Depuis un an, le collectif Inter-Urgences et les syndicats tentent d’alerter sur les dysfonctionnements de l'hôpital public. L’an passé, en mars, le mouvement s’était constitué après une série de violences. Pour beaucoup de soignant.e.s, ces évènements avaient été le point de non-retour d’une colère trop longtemps étouffée.

Au revoir à l'hôpital

« Aujourd’hui, ça n’a pas beaucoup changé », raconte Amélie, la trentaine. Cette infirmière est venue avec deux copines jusqu’à Paris pour rappeler qu’elle a choisi ce métier. Une bière à la main et un cœur peint dans le dos, elles racontent le manque de sécurité dans leur hôpital de proximité, situé non loin de Deauville. « Les gendarmes nous ont déjà dit qu’en cas de problèmes, on aurait toutes le temps de mourir avant qu’ils arrivent. Ils sont à 40 minutes minium de notre hôpital ».
 
A leurs côtés, des usagers des services publics hospitaliers sont venus ce vendredi dans la rue, pour aux aussi déclarer leur flamme à l'hôpital public. « A moment donné, le gouvernement va devoir nous écouter. On a le soutien des Français, espère Pascale, 62 ans. Dans mon hôpital, nos appareils tombent en panne, ils ne sont pas remplacés, comme les médecins ».
 
Cette technicienne de laboratoire raconte l’exode du personnel soignant. A un an et demi de la retraite, si elle est dans la rue aujourd’hui c’est pour essayer de sauver ce qui peut l’être.  « Je ne ferais pas un jour de plus. Je suis là depuis vingt ans et l’hôpital m’a cassé ».
 
Sous les baffes qui crachent “J’accuse” de Damien Saez, les manifestant.e.s arrivent devant Port-Royal où une fanfare s’occupe de faire du bruit. Encadrés par les forces de l’ordre, les soignant.e.s ont ensuite continué à marcher jusqu’à la Pitié-Salpêtrière. Là, et alors que le soleil déposait ses premiers rayons sur le bitume, ils ont accroché des fleurs blanches aux grilles. Comme pour dire au revoir à cet hôpital qu’ils aiment tant.

Photos : Hamid Khosravi

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