Des patients indispensables aux « living labs », ces plates-formes d’innovation ouverte

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Alexandra Le Chaffotec, Enseignant chercheur en économie des organisations et économie de la santé, PSB–UGEI

Des patients indispensables aux « living labs », ces plates-formes d’innovation ouverte

Et si l’innovation en santé se faisait non seulement pour les patients mais… avec les patients ? Traditionnellement, ce sont les professionnels de santé qui partent en quête de nouvelles solutions. Ils mènent des travaux de recherche fondamentale et de recherche clinique au sein des centres hospitaliers universitaires (CHU), de centres de recherche publics comme l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ou des grands groupes des industries pharmaceutiques et de matériel médical (fauteuils roulants, lits médicalisés). Ces recherches peuvent aboutir à la description d’une nouvelle maladie, à la découverte d’un traitement ou à l’amélioration de la prise en charge des patients.

Mais ce modèle trouve aujourd’hui ses limites. Trois facteurs, au moins, plaident pour son renouvellement.

Tout d’abord, ce qui est proposé par le monde de la recherche et de l’innovation est souvent déconnecté des besoins réels des usagers. C’est le constat dressé par Claude Dumas, responsable du Centre de ressources et d’innovation mobilité handicap (Ceremh), dans le livre blanc des open labs publié en 2016 par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) et Paris School of Business (PSB). Les entreprises qui produisent des biens pour la mobilité des personnes souffrant de handicap sont peu nombreuses en France, et leurs produits ne répondent pas à la demande d’amélioration du confort de vie réclamée aujourd’hui par ces personnes, indique-t-il en substance.

La connaissance médicale n’est plus l’apanage des médecins

Ensuite, les usagers ont changé : les citoyens cherchent à se réapproprier leur santé. On ne compte plus les associations de malades ou les forums de discussion dédiés à la santé, dans lesquels des personnes atteintes d’une pathologie échangent entre elles des expériences ou des remèdes. La connaissance médicale n’est plus l’apanage des médecins ; il existe un savoir complémentaire, issu de l’expérience, détenu par les malades.

Le patient veut jouer un rôle plus actif dans sa prise en charge. Il connaît sa maladie – ou son handicap – mieux que personne, puisqu’il vit avec elle au quotidien. Il peut ainsi participer à l’amélioration de la connaissance sur son affection, ou identifier les besoins qui n’ont pas encore de réponse industrielle ou médicale. Il peut même co-créer, avec les industriels et les médecins, les solutions médicales qui lui sont destinées. Il est d’ailleurs déjà sollicité pour effectuer des recueils de données dans le cadre de la télémédecine.

L’innovation en santé, enfin, se voit bouleversée comme dans d’autres secteurs par la technologie et le numérique. En témoignent les avancées telles que la robotique chirurgicale, l’imagerie interventionnelle guidant sous contrôle radiologique des gestes médicaux, la rétine artificielle ou la prothèse connectée. L’avenir de la médecine réside vraisemblablement dans l’exploitation des mégadonnées numériques, les big data, des objets connectés, de l’intelligence artificielle, de la nanomédecine, ou encore de la réalité augmentée, c’est-à-dire la superposition de la réalité avec des éléments virtuels sonores, visuels ou tactiles.

Toutes ces innovations font appel à une variété plus grande de connaissances et d’acteurs que par le passé. Il n’est pas rare que des personnes issues de la société civile créent elles-mêmes l’aide technique médicale qui leur fait défaut, comme cet étudiant qui a développé un bracelet à puce contenant tout le dossier médical de son porteur. Des startuppers participent aussi grandement à stimuler la créativité dans le domaine de la santé.

Des laboratoires « où l’on vit »

Certains lieux mettent en œuvre des modalités d’innovation qui vont dans le sens de ces évolutions. Ainsi, des living labs dédiés à la santé des citoyens et à l’autonomie des personnes handicapées se sont mis en place depuis un peu plus de cinq ans au sein d’hôpitaux, de collectivités locales ou d’universités. Littéralement, il s’agit de laboratoires « où l’on vit ». Autrement dit, ils permettent des rencontres entre des acteurs publics, privés et des citoyens. Il s’y crée des produits et des services testés en conditions « réelles » par de véritables usagers. On dénombre une trentaine de ces structures aujourd’hui en France.

Les living labs entrent dans la catégorie plus large des open labs ou plates-formes d’innovation ouverte, comprenant les espaces de coworking, les fab lab et les techshops. Comme montré dans le Livre blanc des open labs cité plus haut, le living lab a la particularité d’être à la fois un lieu et une méthode de recherche. L’innovation ouverte, la collaboration et la transdisciplinarité y sont généralement la règle.

Ces nouveaux lieux d’innovation coïncident avec les évolutions du secteur de la santé à travers trois de leurs piliers : l’implication de l’usager, l’utilisation d’un espace dédié de travail et d’accueil des usagers, et la mobilisation d’équipes pluridisciplinaires. En effet, la séquence de travail d’un living lab se découpe en quatre étapes : analyse des besoins, co-conception, réalisation d’un prototype et déploiement de la solution. Chacune d’entre elles place les usagers au cœur du processus d’innovation. Ils prennent part à des entretiens individuels ou collectifs, donnent leur avis, et participent activement à améliorer les différents prototypes jusqu’à la version finale du produit.

Un espace de travail propice aux échanges

Dans ces séquences de travail, les usagers sont encadrés par des équipes composées de médecins, d’ingénieurs, de psychologues, de startuppers, d’industriels ou de designers. Ensemble, ils sont placés dans un espace de travail et de création propice aux échanges grâce à une ergonomie qui stimule les rencontres et les discussions par sa disposition et son caractère chaleureux. Le lieu comprend également des dispositifs techniques, tels que des caméras ou des capteurs, qui permettent d’observer les usagers et l’usage qu’ils ont des outils médicaux qu’on leur soumet. Un tel espace permet à la fois la coordination de ces compétences multiples et des rencontres impromptues qui peuvent donner lieu à davantage de créativité.

La Fabrique de l’hospitalité living lab du CHU de Strasbourg, par exemple, est intervenue dans la maternité de l’hôpital. Leur équipe a réussi à introduire le design à l’hôpital public en concevant un nouvel espace, faisant appel à des outils tels que l’ergonomie physique et l’ergonomie cognitive. Cette disposition permet de mieux prendre en charge les patients et d’améliorer l’organisation pour le personnel soignant.

L’hôpital Broca à Paris, lui, a pu mettre en place, avec le Laboratoire d’analyse des usages en gérontologie (LUSAGE), des outils de stimulation cognitive proposant des exercices sur tablette tactile, à destination des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, et leur permettant de compenser les problèmes liés à la mémoire ou de s’y adapter.

Les living labs permettent ainsi de développer des biens et des services de santé qui répondent à des besoins jusqu’ici non satisfaits. Les patients sont indispensables en ce qu’ils ont des idées auxquelles les professionnels n’auraient pas nécessairement pensé. La méthode incrémentale de travail, c’est-à-dire un va-et-vient continuel entre l’usager et le professionnel, aboutit à des biens et services adaptés aux usagers, qu’ils peuvent aisément s’approprier in fine.

Le modèle de co-conception proposé par les living labs santé et autonomie, qui promeut une méthode de développement favorisant l’adaptabilité aux usagers, est probablement celui de demain. La transition vers ce modèle de recherche ne sera vraisemblablement pas disruptive, autrement dit elle se produira sans doute sans une rupture brutale. Aussi une intégration progressive des usagers dans les processus de création pour la santé apparaît désormais nécessaire.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

N.B. Déclaration d’intérêts : Alexandra Le Chaffotec a reçu des financements de La Région Ile de France (bourse doctorale 2006-2009), la Fédération des maladies orphelines (allocation de recherche 2006).

Source:

The Conversation

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