What's up Doc : Pouvez-vous expliquer l'objet de votre convocation à la CPAM?
Michel Chevalier : J’ai été convoqué, parce que, semble-t-il, je faisais personnellement deux fois plus d'arrêts maladie que la moyenne, dans le cadre de la démarche de mise sous objectif qui m’a été proposée et que j’ai refusée. J’ai fait un délit de statistiques, mais les statistiques ne s’appliquent pas à un individu. Il y a de quoi s'inquiéter pour le fonctionnement de de la sécurité sociale. Donc moi je prends ma retraite.
Votre départ en retraite est donc vraiment lié à cette convocation ?
M.C. : Peut-être y-a-t-il un ensemble de choses, mais en tout cas celle-ci a été un élément déclencheur. C’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai 63 ans donc c’est l’histoire d’un médecin qui craque et qui prend un peu prématurément sa retraite alors qu’il y a une pénurie de médecins, ce qui est contre-productif.
«On se retrouve devant un tribunal avec un siège qui est plus bas que les autres, une configuration humiliante. »
Et vous avez donc organisé une manifestation au même moment ?
M.C. : Oui, on s’est donné rendez-vous devant la CPAM une demi-heure avant ma convocation. C’était sympa parce qu’il y avait quand même du monde : des amis, des patients et des syndicats. On a beaucoup discuté et on avait un mégaphone. D’ailleurs une personne qui travaille à la Sécu est venue me voir à ce moment-là pour me dire « vous savez, j’ai travaillé là-dedans mais je suis avec vous ». Cette partie-là était agréable, c’est une fois à l’intérieur que ça s’est dégradé.
Comment s’est déroulée cette convocation ?
M.C. : J’en sors là. L’audience a duré une heure. J’ai été très choqué de la façon dont on m’a reçu, et de cette injustice. Comme je le disais, je prends ma retraite, mais si j’avais quarante ans, je me serais dit « je vais changer de profession, en tout cas je ne vais pas rester médecin généraliste ». C’est vraiment très inquiétant.
Je n’ai pas aimé du tout la manière dont s’est déroulée l’audience. On se retrouve devant un tribunal avec un siège qui est plus bas que les autres, une configuration humiliante, je regrette de ne pas leur avoir fait remarquer.
Il y avait un tas de représentants, des administratifs, des représentants du Medef, des représentants de syndicats de salariés et des syndicats de médecins... On m’a dit que ce n’était pas un tribunal, mais ça y ressemblait et je l’ai dit. En plus, le lieu de rendez-vous était dans la cave, ça ressemblait à de la torture et ça rajoute à la violence. On a un vraiment le sentiment d’être des criminels. C’est la première fois en 63 ans, dont 36 d’exercice que je me retrouve dans une telle situation.
« Donc un patient qui arrive, qui a fait une hémiplégie, qui est aphasique, je vais lui dire "je suis désolé, je peux plus vous arrêter, débrouillez-vous pour trouver une solution", et je le fous dehors. »
Que vous a-t-il été reproché précisément ?
M.C. : Concernant la mise sous objectif, on m’a reproché de ne pas avoir fait les démarches administratives telles qu’on me les avait proposées. La mise sous objectif consiste à auto-réguler ses arrêts, c’est-à-dire que si j'ai fait trop d'arrêts, il faut désormais que j'en fasse moins. Donc un patient qui arrive, qui a fait une hémiplégie, qui est aphasique, je vais lui dire « je suis désolé, je peux plus vous arrêter, débrouillez-vous pour trouver une solution », et je le fous dehors.
Pour vous, votre patientèle est en moins bonne santé que la moyenne ?
M.C. : Souvent on dit que la patientèle suit l’âge du médecin, c’est mon cas. Ce sont des gens qui se retrouvent en difficulté en fin de carrière pour X raisons : des dépressions, mais aussi des TMS (troubles musculosquelettiques). Il y a par exemple des maçons qui ont de l’arthrose et qui ne peuvent plus travailler. En bref, tout un tas de situations de fin de carrière où les gens, qui ont bossé toute leur vie, n'y arrivent plus.
Selon vous, l’assurance maladie doit-elle s'abstenir de tout contrôle sur les arrêts maladie ?
M.C. : Avant, il y avait des contrôles confraternels avec des médecins conseils, ce qui était très bien. J’en ai eu un il y a quelques années, le médecin conseil est venu à mon bureau et m’a posé des questions sur la consistance de mes arrêts de travail. Et finalement, il a conclu qu’ils étaient justifiés. Maintenant, tout cela est fini puisque l’on a plus de médecins conseil. Donc on met la pression sur les individus en essayant de les culpabiliser. J’étais aujourd’hui convoqué avec deux autres jeunes médecins, deux femmes. L’une d’elle est dans un quartier difficile de Pau, qui présente beaucoup de cas d’obésité, de diabète, donc des maladies souvent liées à la pauvreté, et l’autre s’est installée très loin dans la campagne, dans des zones où l’on trouve déjà très peu de médecins. Donc évidemment, on fait plus d’arrêts dans ces situations.
Mais tout cela n’apparaît pas pour la Sécu ! C’est toujours le chiffre qui prime : le nombre d’indemnités divisé par le nombre d’actifs et par médecin, c’est tout. Ce sont des gens qui ne réfléchissent pas du tout, qui obéissent seulement. Ils en arrivent à casser du médecin, alors qu’il y en a besoin pour la population, c’est grave. Et c’est encore pire pour les deux jeunes qui étaient avec moi, elles sont sorties de là encore plus effondrées que moi. Ce n’est même pas un discours de sourd que nous avons eu, on ne parle simplement pas la même langue. Eux c’est la forme et nous le fond, alors nous n’avons simplement pas pu nous entendre du tout.
« On va entrer, je le crains, dans une violence sociale terrible. Là, il y a 5000 médecins qui ont été convoqués, mais il y en a 15 000 à venir, donc ce n’est pas fini. »
Votre indignation ne s'arrête pas qu'à votre propre cas ?
M.C. : Je pense qu'il y a une volonté aussi de s'attaquer à la fois aux médecins et aux salariés, c'est-à-dire que pour le salarié maintenant ça va être « marche ou crève ». J’ai peur que ce soit ça l’avenir. Jusqu’ici, quelqu’un qui avait travaillé trente ans à un même poste usant, il y avait une reconnaissance de son travail, il avait le droit à une invalidité, ou une solution en attendant la retraite. Sinon on pouvait faire déclarer une inaptitude par la médecine du travail qui lui donner le droit au chômage en attendant la retraite. On essayait donc de trouver une solution à peu près digne pour quelqu’un qui a toujours travaillé. J’ai l’impression qu’aujourd’hui on presse le citron, et quand il est pressé on le jette. On va dire au pauvre type : « Débrouillez-vous, vous n’avez qu’à démissionner si vous n'y arrivez pas ». On va entrer, je le crains, dans une violence sociale terrible. Là, il y a 5000 médecins qui ont été convoqués, mais il y en a 15 000 à venir, donc ce n’est pas fini.
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Comment envisagez-vous la suite pour vous ?
M.C. : Moi je vais revivre, parce que je vais faire un jour de remplacement. Je ne vais plus m'embêter avec tout ça, je vais garder une petite activité et percevoir la retraite. Je n’ai aucun regret à me retrouver là. Et je suis tout de même satisfait de m'être déplacé pour dire ce que j'avais à dire.