L’avenant numéro 6 à la convention médicale signé mi-juin par les cinq syndicats représentatifs de médecins a permis le déploiement de la télémédecine depuis le 15 septembre dernier. Il aura fallu attendre ce mois de janvier 2019 pour que ça s’agite un peu.
Parmi les gros changements, ce lundi, Doctolib a annoncé l’ouverture de sa plateforme de téléconsultation. L’acteur de la prise de rendez-vous en ligne se lance dans un marché qu’il ne connaît pas, mais que d’autres acteurs privés n’ont pas encore réussi à investir.
L’Ordre veille
Qare avait bien tenté de se lancer auprès du grand public en imaginant une campagne publicitaire rapidement démontée par la profession, et notamment par l’Ordre des médecins. L’institution avait mis la société en demeure de cesser la diffusion de publicités jugées « fallacieuses quant à l'intégration des services proposés dans le parcours de soins pour tous les patients et donc à leur prise en charge par l'assurance-maladie ».
Elle redoute une transgression des règles déontologiques. « Le développement d'offres de télémédecine ne saurait signifier un affranchissement des règles d'exercice de la profession », avait alors souligné l’Ordre.
L’hôpital-vitrine
Depuis, les plateformes la jouent plus discret. Livi, la société suédoise bien implantée dans son pays d’origine, s’est associée au CHI de Créteil (Val-de-Marne) dans un partenariat destiné à désengorger les urgences. Un centre de santé situé juste à côté de l’hôpital accueille les patients, et des infirmières prennent en charge les patients et les accompagnent pour des téléconsultations.
En parallèle, la société développe une application pour alléger le recours au 15 et aux services d’urgence. L’appli se charge d’un premier triage, entre les cas qui relèvent des urgences et ceux qui ont vocation à être réorientés vers leur médecin traitant, s’il est disponible. Les autres sont basculés vers un médecin en téléconsultation.
D’après une étude menée par l’entreprise, 21 % des patients interrogés ont déclaré que, sans la téléconsultation, ils seraient allés aux urgences. Ils seraient 2 % de plus à déclarer qu’ils auraient appelé le 15.
« Ça démarre doucement »
Mais les entreprises privées ne sont pas les seules à se lancer sur le marché. En Auvergne-Rhône-Alpes, le groupement de coopération sanitaire (GCS) Sara dispose elle-aussi de sa plateforme. « Nous avons douze ans d’expérience avec le GCS qui réunit des hospitaliers et des libéraux », explique à What’s up Doc le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, élu URPS et président de la Fédération des médecins de France (FMF) de la région. « Nous utilisons déjà les dossiers informatisés, une messagerie sécurisée, la téléexpertise. Nous avons ouvert notre plateforme il y a deux mois ».
« Je sentais un besoin, notamment en Ehpad », poursuit-il. « Les médecins sont présents le matin, mais peu l’après-midi. La téléconsultation peut être utile pour ajuster les prescriptions d’anticoagulants, pour interpréter les bandelettes urinaires, ou encore pour des avis dermato ». Le généraliste estime qu’il n’est pas possible de tout faire ni d’anticiper exactement ce qui va se révéler utile à l’usage, car pour l’instant, « ça démarre doucement ». « On verra à l’usage », conclut-il.
Les mutuelles dans le game
L’idée de la téléconsultation prend doucement. Invité sur RTL ce lundi, Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) se veut intéressé mais prudent. « La téléconsultation ne peut pas remplacer une consultation au cabinet du médecin, pour une raison très simple : il n’y a pas d’examen clinique », a-t-il ainsi rappelé. « Ça va rendre de grands services », ajoute-t-il néanmoins.
Le néphrologue a également rappelé son inquiétude sur le message qui est transmis aux Français, qui pourraient confondre la téléconsultation telle qu’elle est prévue par la loi santé et dans le cadre d’un remboursement par l’assurance maladie, et des téléconsultations que proposent les mutuelles.
Ses attentes et ses craintes sont partagées. Le Dr Jérôme Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre (UFML-S), titre un édito « Téléconsultation : le meilleur est à espérer, le pire est à craindre ». Il craint notamment que les sociétés de téléconsultation privées profitent de la pénurie de médecins pour forcer la porte de la téléconsultation en dehors du parcours de médecin traitant.
Le Dr Marty redoute que les plateformes viennent à remplacer les médecins pour les actes légers, et qu’elles renvoient vers les urgences pour les cas lourds, éliminant ainsi les médecins libéraux du tableau, et créant une « médecine low cost ». « Il nous appartient à tous, face à ce bouleversement sanitaire, économique, politique d’oser regarder chaque apport et chaque risque et de sacraliser les valeurs de notre système sanitaire afin que chaque progrès s’adapte à elles et, par là-même, le protège et le développe », conclut-il.
Téléconsultation : ça s’active en 2019
Qare, Livi, Doctolib… Les industriels lancent leurs offres de téléconsultation, avec plus ou moins de soutien de la part des médecins, qui hésitent entre ses avantages et les risques qu’elle représente.