Regarde la gériatrie tomber

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Si le scandale Orpéa a révélé au grand public l’incurie de certains EHPAD privés, il ne doit pas faire oublier l’effondrement de la gériatrie hospitalière publique.

Regarde la gériatrie tomber

© IStock

Dernier cri d’alarme en date, à Nice où les soignants de l’hôpital Cimiez, spécialisé en gériatrie, se mobilisent sous la bannière de la CGT.

« En novembre 2021, 25 lits ont été fermés en unités de moyen séjour. Début juillet 2022, c’était 32 lits en soins de suite et de réadaptation, souligne Marina Garcia au quotidien Nice Matin. C’était la seule solution possible : on manque de soignants (infirmiers, aides-soignants et médecins) partout. La fermeture des lits devait permettre de redéployer des professionnels dans d’autres services et en Ehpad, pour maintenir une activité de soins correcte ».

« Il y a un levier d’action, c’est le salaire. Il n’est pas assez attractif (…) Le Ségur n’a pas été à la hauteur. L’augmentation du point d’indice de 3,5 % ne suffit pas face à une inflation à 7 %. Nous demandons une revalorisation du point d’indice à 6% .Il faut impérativement trouver des leviers pour rendre le métier et l’hôpital attractifs » tempête Stéphane Gauberti, secrétaire général de la section CGT du CHU Nice.

Fermeture en cascade

Cette mobilisation n’est que le symptôme d’une gériatrie hospitalière à l’agonie.

Une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF) réalisée en avril et mai 2022 mettait ainsi en évidence le fait que le secteur de la santé qui peine le plus à recruter est la gériatrie, avec de 85 à 90 % d’établissements concernés selon le type de structures.

A ce phénomène s’ajoute un taux d’absentéisme important de 10 à 15 %.

La pénurie de soignants est telle que des centres hospitaliers sont contraints de fermer, et pas que dans des déserts médicaux, ainsi de l’hôpital gériatrique La Collégiale, situé dans le 5ème arrondissement de Paris, qui a fermé ses portes début juin, par manque de personnel et notamment d’infirmiers.

Les patients ont dû être transférés vers d’autres hôpitaux parisiens, ceux de Broca et de Vaugirard notamment. Le manque de soignants avait déjà poussé la direction à fermer une unité de soins de longue durée (USLD) de 14 lits l’an dernier, puis une autre de 40 lits fin février. Cette fois la fermeture a été totale.

Si cette fermeture est annoncée comme provisoire, « tout laisse penser que l’hôpital ne rouvrira pas » s’inquiétait alors Olivier Dahuron, délégué syndical de la CGT. Pour l’heure, il n’a pas été démenti…

Au journal Le Monde, d’égrener les fermetures successives de ces derniers mois.

« A Auch, vingt-huit lits du service de soins et de réadaptation gériatriques ont été fermés pour une durée indéterminée en raison d’un nombre insuffisant de soignants. A Nice, cinquante lits de l’hôpital Cimiez ont été condamnés provisoirement avant l’été, provoquant la colère des syndicats (…) A Limeil-Brévannes, dans le Val-de-Marne, 15 % des lits ne sont plus ouverts, dans un hôpital dont l’activité avait déjà été réduite il y a plusieurs mois. (…) Même chose à Montpellier, Bordeaux ou Paris. Partout, en France, en réalité, en raison du manque d’infirmiers ou de médecins, les autorités hospitalières doivent réduire l’offre de soins spécialisés sans savoir s’il sera possible, à court ou à moyen terme, de la rétablir ».

Chef de pôle au CH de Mulhouse, le Dr Yves Passadori, 66 ans, résume, amer : « Je n’ai jamais connu une telle situation. C’est très préoccupant. On n’arrive plus à colmater les brèches, et tous les centres ferment des lits. »

« Les sous-effectifs en infirmiers et en aides-soignants provoquent, depuis des semaines, la fermeture de lits, et parfois même de services », s’alarmait déjà le 26 juin dans un communiqué le Conseil national professionnel de gériatrie (CNPG).

Claude Jeandel, président du CNPG gériatrie, demandait aussi « aux pouvoirs publics qu’ils nous donnent enfin les moyens qui nous reviennent (…) c’est-à-dire, plus concrètement, qu’ils augmentent le personnel en gériatrie en tenant compte des recettes de la tarification ».

En pratique, le CNP gériatrie demandait d’astreindre tous les établissements de santé à fixer des ratios infirmiers (IDE) et aides-soignants AS dans toutes les unités de gériatrie, de reconnaître les spécificités du métier d’infirmière en gériatrie, de promouvoir la fonction d’assistant de soin en gérontologie et IPAG et d’accroître significativement et rapidement le nombre de postes d’internes en gériatrie.

Des revendications qui sont pour l’instant restées lettre morte.

Soulignons pour finir que si les tendances démographiques se confirment, la France devrait compter 4 millions de personnes âgées dépendantes en perte d'autonomie contre 2,5 millions en 2015, la crise de la gériatrie hospitalière et des EHPAD pourrait alors devenir une question de société vitale.

Une réalité qui dénote avec la relative indifférence des pouvoirs publics qui s’est manifestée par le renoncement à la loi grand âge pendant le précédent quinquennat.

Frédéric Haroche

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