Médecin 2.0 depuis son serment

Article Article

Médecin généraliste, Dominique Dupagne a fondé le célèbre Atoute.org en 2000. Une époque o`u beaucoup doutaient encore de l’utilité d’Internet. Pionnier du web médical, community manager né, il a recu What’s up Doc au coin du feu, dans son cabinet cossu du 17e arrondissement parisien. Souvenirs d’un ancien combattant du numérique qui n’a pas déposé les armes.

Médecin 2.0 depuis son serment

What’s Up Doc : Nous sommes un peu déçus, nous nous étions laissé dire que vous accueilliez certains de vos visiteurs avec foie gras et sauternes. What’s Up Doc n’a pas droit à ce traitement de faveur ?

Dominique Dupagne : Le foie gras, c’est spécial. En fin d’année dernière, je suis allé voir quelques confrères pour leur présenter un projet qui s’appelle Mesconfreres.fr. Je leur bloquais du temps, et plutôt que de les payer, je leur ai fait déguster du foie gras.

WUD : Qu’est-ce que c’est que ça, Mesconfreres.fr ?

DD : C’est un projet de site destiné aux professionnels. Il s’agit d’identifier un médecin compétent dans un domaine précis, à partir d’une banque de recommandations. L’idée, c’est que le meilleur critère de compétence ne réside pas dans les indicateurs chiffrés et stupides que l’on trouve partout, mais dans l’opinion des pairs. Ce n’est pas de l’objectivité, ce n’est pas de la subjectivité, c’est de la « pair-jectivité ».

WUD : Comment en êtes-vous venu au numérique ?

DD : Je suis un hyperactif petit dormeur, j’ai connu l’ennui du petit matin pendant des années. Quand Internet est arrivé en 1996, c’était le truc qui me manquait. J’ai beaucoup fréquenté un groupe de discussion sur la médecine, avec lequel j’ai échangé des milliers de messages : il y avait des confrères, des complotistes, de tout... C’était passionnant, mais j’en suis arrivé à la conclusion que sans modération de l’espace de dialogue, ça ne se passait pas bien. J’ai donc créé Atoute.org, un forum de discussion que je modérais moi-même.

WUD : Et ça a marché ?

DD : Ça a été un bide absolu ! Discuter sur des forums n’intéressait personne. J’ai donc modifié le site pour qu’il devienne un outil d’aide à la recherche d’information. Quelques temps après, j’ai relancé le forum avec une nouvelle plateforme technique, et ça a été l’explosion. En quelques années, on est arrivés à 1,5 million de visiteurs par mois, 1000 messages par jour...

WUD : Avec ce site interactif, vous faisiez du 2.0 avant l’heure, en quelque sorte...

DD : Exactement. Je n’ai découvert cette expression qu’en 2007 dans un numéro spécial de Courrier international. Ça a été une véritable révélation pour moi : je me suis rendu compte que tout ce dans quoi je baignais depuis des années avait un nom : le web 2.0. Et j’ai découvert que j’étais un Community Manager.

WUD : Et aussi un blogueur ?

DD : J’ai commencé à bloguer en 2005. Les premiers blogs médicaux n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui : on était encore dans des éléments techniques, une espèce de cours en ligne. La presse grand public ou médicale regardait cela avec le nez un peu pincé. Puis il y a eu un grand virage en 2009, avec l’épidémie de grippe A H1N1. Les Français étaient terrorisés. Ils se demandaient : « Qu’est-ce que je fais, certains me disent que si je ne me vaccine pas je vais mourir dans d’atroces souffrances, et d’autres me disent que si je me vaccine, je vais mourir dans d’atroces souffrances... ». J’ai alors fait un article dans lequel j’exposais les risques de la maladie, très faibles, et les risques du vaccin, très faibles aussi. Cet article a été co-signé par 240 confrères en quelques jours, et il a commencé à buzzer : il a été vu 1,3 million de fois en quinze jours, il a failli faire exploser mon serveur. Les gens trouvaient une information non partisane, descriptive, sourcée, référencée... Les journalistes se sont rendu compte, petit à petit, que l’information la plus able publiée sur le sujet avait finalement été celle publiée par un blogueur associé à des confrères anonymes. Ça a changé beaucoup de choses.

WUD : Qu’est-ce qui vous pousse vers le numérique ?

DD : J’ai un véritable appétit pour le partage d’information. Quand j’étais en terminale, je voulais être prof. Mon père qui était médecin, dont le père était médecin et dont le grand-père était médecin, m’a dit : « Tu n’as qu’à faire médecine, tu seras prof de médecine ». Je me suis dit pourquoi pas. Vous voyez le degré de ma vocation ! Mais j’ai toujours aimé communiquer : par la suite, j’ai fait du journalisme pour Que Choisir Santé, j’ai participé à l’élaboration du Vidal grand public, j’ai utilisé mon blog pour faire de la pédagogie sur des sujets que je trouvais mal traités dans les médias traditionnels. Et je suis ravi d’avoir une chronique sur France Inter ou de faire une intervention sur France 2 de temps en temps.

WUD : Et si vous nous parliez de vos combats... Les vaccins, par exemple.

DD : Je ne sais pas si on peut parler de combat à propos des vaccins. Je suis effaré de voir qu’en France, on a le choix entre d’un côté « l’Église de Vaccinologie », chez laquelle tous les vaccins sont fabuleux, et de l’autre les complotistes, chez lesquels aucun vaccin ne sert à rien. Trouver des gens ayant une approche modérée, qui consiste à dire qu’il y a des vaccins indispensables, des vaccins utiles, des vaccins peu utiles et des vaccins sans intérêt, c’est impossible. Mon combat sur le sujet, c’est seulement de dire qu’il existe un juste milieu.

WUD : Prenons le Mediator, alors.

DD : Le Mediator, c’est une longue histoire. En 2003, quelqu’un m’a interrogé sur mon forum à propos de ce médicament, et j’ai répondu qu’il s’agissait d’un coupe-faim, qu’il était étrange qu’il ne soit pas interdit comme les autres amphétamines, mais que ça ne tarderait certainement pas. Par la suite, quand Irène Frachon écrivait son livre*, elle a fait une recherche sur Internet et la première chose qu’elle a trouvée, c’était ce forum. Notre premier contact a été cette rencontre virtuelle. Après, j’ai assisté, fasciné, au combat d’une femme qui n’a pas eu peur d’affronter le laboratoire Servier. Quand tout le monde se couchait devant eux, elle a fini par gagner. Les victimes, elles, n’ont pas totalement gagné, car Servier continue de faire tout ce qu’il peut pour éviter de payer avec des arguties juridiques à vomir. C’est pour secouer un peu le cocotier que l’année dernière nous avons fait, avec Irène Frachon, le « Manifeste des 30 »**.

WUD : En quoi cette histoire est-elle typique des conflits d’intérêts que vous dénoncez régulièrement ?

DD : Les conflits d’intérêts sont partout. L’Homo Sapiens est fait pour nouer des alliances, échanger des avantages dans le but d’améliorer sa position. Mais il y a des limites. Imaginez le maire d’une commune qui dirait : « Moi je fais financer ma maison par tous les entrepreneurs du coin, je n’ai pas de conflit d’intérêts » ! Eh bien en médecine, c’est quelque chose qu’on peut dire sans rire. Un spécialiste peut dire : « Moi je travaille pour tous les labos, alors je n’ai pas de conflit d’intérêts ». Mais il y aura toujours un labo qui ne pourra pas payer faute de moyens...

WUD : Mais il y a des domaines où il est difficile de trouver des experts sans liens avec les industriels...

DD : On essaie toujours de faire croire que des gens qui prennent des décisions sans être spécialistes du domaine sont incompétents. C’est tellement ancré que je ne sais pas comment on va se sortir de là. On n’a toujours pas compris que pour prendre une bonne décision, il faut des gens qui connaissent l’évaluation, qui sont indépendants, et qui prennent leur décision après avoir écouté des lobbyistes. Des experts généralistes, en quelque sorte.

WUD : Dans ces conditions, où peut-on trouver une information fiable sur les produits ?

DD : On ne peut plus faire confiance aux agences gouvernementales pour donner une évaluation correcte du médicament, donc les médicaments doivent être évalués ailleurs. Je me suis fait une raison : on ne pourra jamais avoir des institutions propres. Il faut donc construire du propre à côté. On doit avoir d’autres sources d’information pour avoir une opinion sur le médicament, ou même sur la cigarette électronique. Cela passe par Prescrire, par les blogs, par Youtube... La société civile va se réapproprier des fonctions dans lesquelles l’État est démissionnaire ou incompétent.

WUD : Il y a tant d’autres choses dans votre vie qu’on ne pourra pas les aborder toutes. La photo, vos livres, la e-conférence de santé***... Avec tout ça, vous avez le temps d’exercer la médecine ?

DD : Je suis très dispersé, et je travaille vite. Les articles, je les écris le matin tôt, avant ma journée, parce que c’est le moment où je suis frais. Au cabinet, je fais un mi-temps de médecin : 30 heures par semaine. Je suis au Vidal deux demi-journées par semaine comme consultant, je m’occupe de mes sites... Tout cela ne me fait pas faire fortune, mais ce n’est pas le but. Ce que j’aime, c’est l’impression d’avoir été utile. En médecine générale, c’est souvent le cas. La poignée de main du patient qui quitte le cabinet avec de la reconnaissance, c’est magique. Mon plaisir, c’est aussi de voir qu’avec de tout petits moyens médiatiques, j’arrive à avoir un impact fort sur la santé publique. En tout cas, je peux vous dire une chose : je m’amuse bien ! 

___________________________________________________________________

* Mediator 150 mg, Combien de morts ? Irène Frachon. Juin 2010, Dialogues.fr Eds 
**www.manifestedes30.com : 30 médecins, philosophes et personnalités engagées, rappellent au laboratoire SERVIER et à la profession médicale leurs obligations légales et morales.
 
***www.conferencenationaledesante.com 

___________________________________________________________________

BIOGRAPHIE : 

1977 • Études médicales à Paris
1986 • Thèse sur l’informatisation du cabinet (et ne s’est jamais informatisé)
1988 • Installation en libéral à Paris
1990 • Journaliste pour Que Choisir Santé
1992 • Rentre chez Vidal pour l’édition grand public
1996 • Découverte (émerveillée) d’Internet
2000 • Création d’Atoute.org
2005 • Président de l’association Médecins Maîtres-Toile
2007 • Début du développement de Mesconfreres.fr
2016 • Lancement de Mesconfreres.fr 

PUBLICATIONS : 

La Revanche du rameur,
Michel Lafon, 2012 
Le Retour des zappeurs, auto-édité, 2013 
Qualité mon Q, auto-édité, 2016 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers